Le jeudi 21 août Mr Abdelhak Goradia est mort dans le fourgon de police qui le conduisait de la prison pour étrangers de Vincennes vers le vol Air France KLM de 21 h 15 qui devait l’expulser vers l’Algérie. Mr Goradia est mort alors qu’il était entre les mains des policiers de la COTEP (Compagnie transfert escorte et protection) une unité spéciale de la police chargée entre autres d’escorter les personnes expulsées entre le centre de rétention de Vincennes et les aéroports parisiens. Le rapport d’autopsie dit qu’il est mort asphyxié par régurgitation. La famille qui, à la morgue, n’a pu voir le corps d’Abdelhak mais seulement son visage, a remarqué qu’il y avait des traces de coups.
En 2003, deux sans-papiers ont été tués à Roissy par les agents de la Police aux frontières pendant leur expulsion. Ricardo Barrientos, un Argentin de 52 ans et Mariam Getu Hagos un Ethiopien de 24 ans sont morts tous les deux dans l’avion après que les policiers les ont maintenus pliés en deux en appuyant sur les omoplates pour les empêcher de crier et d’alerter les passagers. En 1991, Arunam Fiva, un demandeur d’asile sri-lankais était mort étouffé après une tentative de reconduite à bord d’un avion à destination de Colombo. Là encore, comme pour Mr Goradia, la police avait parlé d’un malaise cardiaque.
Pour atteindre les 27 000 expulsions annuelles brandies par les divers gouvernements comme des trophées, des dizaines de personnes dites sans papiers sont expulsées chaque jour de France. C’est à dire arrachées de force à la vie qu’elles menaient en France, aux gens qu’elles aiment et connaissent, à leurs habitudes, à tout ce qui fait le quotidien d’un être humain. Nous n’en entendons parler que lorsque quelqu’un meurt ou est gravement blessé mais parmi ces personnes expulsées, nombreuses sont celles qui en plus subissent des violences, notamment lors de ce que l’administration française appelle « l ‘éloignement » ou la « reconduite à la frontière ». De nombreux témoignages trop peu diffusés font d’ailleurs état de ces violences qui de toute façon font partie des méthodes de travail officielles de la police de l’air et des frontières.
Dans un document de 62 pages du ministère de l’intérieur intitulé « Instruction relative à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière » et destiné aux flics escorteurs de la police de l’air et des frontières il est indiqué que pour exécuter ces mesures, qui résultent de décisions administratives ou judiciaires, conformément à la loi, l’emploi de la force strictement nécessaire sans faire usage de violences inutiles ou de brutalité illégitime ». Les violences et brutalités que l’État estime légitimes y sont abondamment détaillées et illustrées à l’aide de schémas et de photographies «en situation», Parmi les gestes qu’un policier peut faire pour immobiliser une personne expulsée il y a par exemple la «régulation phonique» qui consiste en un étranglement pour «déstabiliser physiquement» la personne, «diminuer sa résistance» et «diminuer ses capacités à crier». Les risques liés à ce geste ne sont pas ignorés et ils sont même listés : «détresse ventilatoire et/ou circulatoire», «défaillance de l’organisme» et «risque vital»…
Concernant Mr Abdelhak Goradia, l ‘État français, par la voix de son ministre de l’intérieur, souhaite “que l’enquête judiciaire permette de faire toute la lumière sur les circonstances de ce décès dramatique”. Nous voulons bien croire que les policiers de service ce jour là passeront en procès pour « homicide involontaire ». Peut-être ne seront ils pas relaxés comme ceux qui étaient chargés de l’expulsion d’Arunam Fiva. Peut être seront-ils condamnés à de la prison avec sursis comme l’un des trois policiers (les deux autres ont été relaxés) qui escortaient Getu Hagos Mariame. Sans doute leur hiérarchie et l’État français s’en serviront ils comme bouclier pour parler d’éléments qui ont failli, pour mettre en avant un dérapage….ou pas
Mais les responsables de la mort de Mr Goradia ne sont pas uniquement les cinq policiers qui ont monté Abdelhak de force dans un véhicule pour l’emmener à l’aéroport. Les responsables sont aussi tous ceux qui depuis plus de 30 ans, qu’ils se proclament de gauche ou de droite, élaborent et, à l’Assemblée nationale et au sénat, votent des lois qui criminalisent toujours plus les pauvres et les étrangers. Les responsables sont aussi les juges qui dans les tribunaux prononcent des peines spéciales pour les personnes dites étrangères, telles des interdictions du territoire français, confirment des obligations de quitter le territoire français ou des maintiens en rétention. Les responsables se trouvent également aux guichets des préfectures et vérifient pointilleusement si aucun papier si minime soit il ne manque ou si on connaît les paroles de la Marseillaise avant de délivrer un titre de séjour. On pourrait également citer la responsabilité des compagnies aériennes qui acceptent les personnes expulsées et leurs escortes…..
Plus largement, la mort d’Abdelak Goradia est à rapprocher de celles des milliers de personnes qui depuis 20 ans périssent noyées en Méditerranée ou meurt de froid ou d’asphyxie dans des camions ou des trains d’atterrissage pour franchir des frontières que les politiques d’immigration des différents pays de l’union européenne rendent de plus en plus infranchissables.
Pourtant, les « immigrés clandestins » comme les nomment souvent les médias, ne sont pas une « menace » mais le résultat d’une volonté politique des États européens, qu’on appelle « politique migratoire ». La conséquence d’un processus qui commence souvent dans les files d’attente interminables devant les consulats des États européens pour un visa que l’on obtiendra de toute façon pas si on est pauvre. Tout en constituant une réserve de main d’œuvre exploitable au plus haut point, les pays d’Europe et les pays dits riches en général font des étrangers et étrangères les boucs-émissaires de la crise économique et sociale.
A travers les médias, l’État a voulu faire de Mr Goradia, une de ces figures du mal : le sans papier clandestin délinquant. Ne nous y trompons pas, nos ennemis ce ne sont pas celles et ceux qui, par choix ou par force, décident un jour de partir tenter une vie meilleure ailleurs et qui, parfois, sont obligés de se débrouiller pour survivre. Les désigner comme coupables des misères autochtones est une rengaine dont le capitalisme s’est déjà allégrement servie dans les années 30 pour s’assurer que les pauvres se battraient entre eux plutôt que contre leurs vrais ennemis : les riches et les exploiteurs au service desquels œuvrent tous les politiques qui prétendent vouloir nous gouverner.
Face à cette montée du racisme et du fascisme, partout en Europe, des personnes, immigrées ou non, s’organisent pour être solidaires de celles et ceux que l’on désigne comme étant « indésirables ». La chasse aux sans-papiers est présente dans notre vie de tous les jours et que ce soit dans la rue, dans les écoles ou sur leurs lieux de travail, des gens s’y opposent quotidiennement.
Ainsi, le 12 août, Mr Goradia avait fait l’objet d’une première tentative d’expulsion. Le commandant de bord, comme c’est son droit, avait refusé de l’embarquer et avait exigé des policiers de la PAF qu’ils le redescendent. Peut être ce commandant de bord avait il agi de lui-même, peut-être avait-il été alerté par des passagers ou passagères protestant contre la présence contrainte et forcée d’Abdelhak. En tout cas, parfois, des gens, qui sont à la fin des 45 jours de rétention, échappent ainsi à l’expulsion. Cela n’a malheureusement pas été le cas d’Abdelhak Goradia qui a lui subi un véritable acharnement puisqu’en une semaine il a subi 2 tentatives d’expulsion. La 2e lui a été fatale avant même qu’il ne soit monté dans l’avion et puisse bénéficier d’un minimum de solidarité de la part des personnes à bord à l’appareil… Cette solidarité que les expulseurs comme les exploiteurs craignent tant et qui fait si chaud au cœur de nombre d’entre nous, qu’ils ou elles aient ou non des papiers.
Arrêt des expulsions, fermeture des centres de rétention, liberté de circulation et d”installation pour toutes et tous