[Analyses/réflexions] Soutien à la révolution au Kurdistan syrien ?

rojava-da-kadin-savascilar_29517_bCe texte est une réponse à l’article «Rojava: une perspective anarcho-syndicaliste»
écrit par «K.B.» et qui a été récemment publié sur le site web «Ideas and Action» de
la Workers Solidarity Alliance (WSA, Alliance de Solidarité des Travailleurs) basée
en Amérique du Nord. Dans l’article il y a une attaque contre la révolution de
Rojava (le Kurdistan syrien) au Moyen-Orient, un évènement dans lequel le Parti des
Travailleurs du Kurdistan (PKK en Kurde) a joué un rôle clé. Cette réponse n’est pas
publiée de mauvaise foi ou avec de mauvaises intentions envers la personne qui a
écrit l’article ou envers son organisation mais, bien plutôt, afin de clarifier et
de partager notre pensée concernant la question du soutien anarchiste à la fois aux
mouvements de libération nationale et à ce qui, pour nous, est une lutte très
importante et inspirante qui se déroule au Moyen-Orient. L’objectif est d’avoir un
débat franc et amical qui nous emmène tous et toutes de l’avant.

*LE CONTEXTE POUR UN SOUTIEN CRITIQUE.*

Le PKK et ses projets ont attiré l’attention pas seulement sur la révolution du
Rojava – où une part substantielle du programme du PKK est en train d’être appliqué.
Le PKK a également attiré l’attention mondiale avec sa bataille héroïque contre les
forces meurtrières et ultra-droitière de «l’État Islamique» (État Islamique en Irak
et au Levant, EIIL), particulièrement dans des combats en Syrie.

Le PKK se dressait originellement pour un État marxiste indépendant pour le peuple
kurde qui devait être créé par des moyens comme la lutte armée. Au cours des 10
dernières années, toutefois, le PKK a significativement changé ce projet, en
adoptant les éléments centraux du «confédéralisme démocratique» – une approche
dérivée de la pensée tardive de l’écrivain Murray Bookchin, influencé par
l’anarchisme. En 2005, le leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, disait:

«Le confédéralisme démocratique du Kurdistan n’est pas un système Étatique, c’est un
système démocratique d’un peuple sans État… Il tire son pouvoir du peuple et
adopte des mesures pour atteindre l’autosuffisance dans tous les champs y compris
l’économie .

La question des relations des anarchistes et des syndicalistes envers des mouvements
comme le PKK -mouvements qui ne sont pas explicitement, ou même complètement
anarchiste – est matière à controverse. Une partie substantielle du mouvement
anarchiste, particulièrement le vaste réseau plateformiste et spécifiste autour
d’Anarkismo.net, a soutenu le PKK, bien que de manière critique.

*LOGIQUE DE SOUTIEN*

En résumé de notre orientation générale, nous soutenons les luttes contre
l’oppression en principe et cela inclut des luttes contre l’oppression nationale et
raciale.

Concrètement, cela signifie se placer aux cotés des gens en lutte contre
l’oppression et défendre leur droit à choisir des approches avec lesquelles nous
pouvons ne pas être en accord. Dans le cas des luttes de libération nationale, cela
signifie que nous défendons le droit des peuples colonisés à résister et à vaincre
la répression impérialiste des projets de libération par le moyen de formes
politico-économiques, tels que des États démocratiques libéraux ou socialistes
indépendants, qui nous le voyons échoueront finalement à émanciper les prolétaires
et les paysans. C’est une question de principes: s’opposer à l’oppression et se
placer aux cotés des opprimé-e-s. Par conséquent, nous ne prenons pas une position
«puriste» qui semble être neutre mais qui, en pratique, met les oppreseurs-euses et
les oppimé-e-s sur le même plan néfaste.

Cela ne doit pas, cependant, être mal compris et signifier un chèque en blanc pour
toute position ou action ou courant engagé dans de tels luttes ; nous n’acceptons
pas la position qui refuse de faire toute critique ou de prendre toute position
indépendante, sur la base que seul-e-s les «opprimé-e-s» peuvent décider, ou sur le
fait que la «solidarité» implique le silence. Évidemment seul-e-s les opprimé-e-s
peuvent décider mais ils et elles ne sont pas homogènes politiquement ou socialement
et toutes les luttes sont contestées de manière interne et imparfaites. La
solidarité est une affaire d’assistance teintée de camaraderie, elle n’a pas pour
objet de fermer le dialogue ou d’excuser des erreurs.

En termes concrets, nous ne soutenons pas tout courant organisé dans les luttes
contre l’oppression. Plus un courant organisé est proche de nos positions, plus nous
le soutenons et montrons de la solidarité ; et en même temps, il y a certaines
positions politiques qui sont simplement inacceptables. En termes de stratégie et de
tactiques, il y a une échelle mobile et cela signifie que nous donnons, en pratique,
la priorité à des relations avec certains groupes par rapport à d’autres et que nous
n’établissons délibérément pas de relations du tout avec d’autres.

De plus, tandis que nous montrons de la solidarité, et que nous fournissons une aide
concrète, nous ne «liquidons» pas notre politique ou notre programme, en devenant
des supporters-rices inconditionnel-le-s ou des organisations de donateurs-rices.
Notre objectif est simplement de s’aligner aux cotés des luttes contre l’oppression,
avec également le but d’influencer ces luttes. Seul l’anarcho-communisme offre les
conditions pour une reconstruction des sociétés humaines qui rendra possible une
résolution complète des nombreux maux sociaux, y compris de nombreux types
d’oppression.

Par conséquent, dans notre solidarité, nous nous engageons en politique en tant que
force indépendante qui cherche une certaine influence. L’engagement est une question
de stratégie, ses formes précises dépendent du contexte et sont, par conséquent, des
questions de tactiques. Mais centralement, dans notre engagement, nous conservons
notre indépendance politique et critique, et nous n’abandonnons pas nos principes
(stratégie et tactiques). Concrètement, il y a des questions pratiques autour
desquelles nous pouvons coopérer directement avec des courants organisés spécifiques
et offrir notre solidarité (même si c’est seulement au niveau de l’élévation de la
conscience), ensuite il y a de nombreuses luttes au sein des luttes des opprimé-e-s,
dans lesquelles nous pouvons prendre parti ; mais nous avons à tout moment pour
objectif de proposer, et de faire gagner en influence, nos méthodes, nos buts et
projets.

Nous résumerons les applications concrètes de cette approche au cas du Rojava dans
la conclusion mais, pour l’instant, brièvement: dans le combat contre l’État
Islamique et contre l’oppression nationale des kurdes, le réseau Anarkismo.net
s’aligne avec les combattant-e-s contre ces forces. Deuxièmement, le rapprochement
partiel du PKK avec l’anarchisme donne une base additionnelle pour le soutien: avec
toutes ses limitations, le projet du PKK est un de ceux qui, à certains égards,
s’aligne avec les idéaux anarchistes. Il est loin de la constitution d’un régime
autoritaire de haut en bas à la manière, par exemple, de l’Armée Rouge de Mao. À ce
propos, le soutien critique envers le PKK est similaire au soutien critique que de
nombreux-ses anarchistes ont envers les zapatistes (EZLN) au Mexique. La question
n’est pas de savoir si le PKK est à 100% anarchiste – il ne l’est certainement pas –
mais plutôt si le PKK combat du bon coté et, deuxièmement, s’il y a des éléments du
programme du PKK que les anarchistes peuvent soutenir volontiers.

En bref, cette approche envers le soutien et la solidarité – et même les alliances –
ne procède pas depuis la position que les anarchistes peuvent seulement et jamais
s’engager qu’avec des forces qui sont purement et sans ambiguïtés anarchistes. Bien
plutôt, la logique est que les anarchistes se dressent avec les opprimé-e-s contre
les oppresseurs-euses – sans renoncer à leurs différences avec d’autres courants. Et
la logique est également que les anarchistes devraient s’engager avec des mouvements
qui sont, si ce n’est complètement anarchistes, au moins de certaines manières plus
proches de nos objectifs.

La politique est une situation confuse, basée sur le débat, le conflit et le
compromis. Ce n’est la question d’attendre des mouvements parfaits ou des moments
parfaits mais celle d’essayer de naviguer – encore une fois sans liquider notre
politique – dans une réalité plus compliquée, marquée par des gains partiels et des
luttes confuses.

*L’ARGUMENT RÉPUDIANT LE SOUTIEN*

Par contraste, l’article dans «Ideas and Action» prend une autre posture. Il décrit
le PKK sous la pire lumière possible, comme «autoritaire», «patriarcal» et
«ethno-nationaliste» et va jusqu’à soulever de sérieuses accusations contre Öcalan.
Les conclusions politiques dessinées par l’auteur «K.B.» sont claires: les
anarchistes devraient se distancier de la révolution du Rojava et du PKK.

Ainsi, c’est en partie un jugement selon lequel le PKK et son projet ne sont ni
contre l’oppression ni en aucune manière compatibles avec les buts anarchistes. Mais
il tend à suivre une plus vaste ligne de raisonnement dans un secteur du mouvement
anarchiste qui congédie de manière routinière tout ce qui n’est pas purement
anarchiste et qui, en pratique, se confine lui-même dans l’engagement avec d’autres
anarchistes. Si cette approche est correcte dans le fait de souligner les dangers
d’un soutien non critique à des mouvements non anarchistes, elle répond d’une
manière telle qu’elle se coupe elle-même de la possibilité de s’engager dans un
quelconque mouvement et de prendre la moindre position réellement concrète sur les
luttes les plus immédiates – en faveur de slogans généraux et d’appels qui n’ont pas
beaucoup d’application concrète.
*
L’USAGE DE LA PREUVE
*
De manière regrettable, beaucoup des affirmations faites par «K.B.» ne dérivent pas
d’un engagement équilibré envers les preuves. Tandis que l’auteur est extrêmement
sceptique sur les déclarations du PKK, il ou elle est beaucoup plus crédule quand
les témoignages dépeignent le PKK sous une pauvre lumière. L’exemple le plus notable
est l’assertion qu’Öcalan est un «violeur». Un examen plus poussé des sources
utilisées révèle seulement des liens vers un site web ultranationaliste turc hostile
au PKK – et un livre attaquant Öcalan. Même si l’auteur de ce livre ne fournit
aucune preuve à part ce qu’il admet être des «rumeurs» sans confirmation.
C’est honnêtement une manière malheureuse d’argumenter – en parcourant internet à la
recherche d’affirmations infondées et diffamatoires provenant de sources douteuses
et en les acceptant de manière non critique. Sur d’autres points, également, le
rédacteur ou la rédactrice «K.B.» fait des déclarations qui n’ont pas de bases
factuelles. Le PKK et ses structures alliées sont strictement présentés comme
«ethno-différentialistes». Le nationalisme est une idéologie tendant vers une unité
multiclassiste et une société de classe: dans ces phases marxistes et maintenant
confédéralistes démocratiques, le PKK ne rentra jamais vraiment dans ce moule.

Si le terme «ethno-nationaliste» est utilisé pour signifier que le PKK est
strictement, exclusivement, kurde, cela ne collera pas non plus avec ce qui est en
train de prendre place au Rojava. Le Rojava n’est pas seulement une question de
libération des kurdes: «K.B.» cite même une déclaration du Forum des Anarchistes
Kurdes (KAF en anglais), dans l’article lui-même, qui montre clairement que le
Mouvement de la Société Démocratique (Tev-Dem en kurde) au Rojava comporte
l’implication de nombreuses personnes «avec des arrière-plans différents, y compris
des kurdes, des arabes, des musulmans, des chrétiens, des assyriens et des yézidis»
.

Ainsi, ce n’est en aucune manière le PKK étroit, et même xénophobe, que «K.B.»
souhaite exposer -mais qu’en fait il présente sous un faux jour. Au contraire,
cependant, Öcalan et d’autres militant-e-s du PKK présentent le confédéralisme
démocratique comme une part de la libération de tous les peuples du Moyen-Orient –
et pas seulement les kurdes – et en sont venu-e-s à rejeter fortement le
nationalisme lui-même.

*METTANT DE COTÉ CERTAINS FAITS*

L’auteur «K.B.» souhaite également présenter le PKK d’une manière ou d’une autre
comme un mouvement «patriarcal» (c’est-à-dire dominé par les hommes). La preuve
principale qui est donnée est le rôle prédominant des hommes dans les positions de
direction. Mais il y a plus important dans la position d’un mouvement sur la
libération des femmes qu’un décompte des têtes. Malgré le fait d’opérer dans un
contexte dans lequel la subordination des femmes est activement promue par de
nombreuses forces – et pas seulement par l’État Islamique – le PKK a néanmoins
activement promu l’égalité pour les femmes dans ses forces armées, ses structures et
son idéologie. Invoquer que la revendication pour la libération des femmes doive
être portée par une sorte de mouvement des femmes «autonome» est abstrait, car un
tel mouvement n’existe pas, et c’est aussi trompeur dans la mesure où la seule force
qui est en train de combattre pour la libération des femmes au Rojava, c’est le PKK.

Le PKK fit oeuvre de pionnier pour la libération des femmes au Kurdistan et c’est un
fait que ces zones où le PKK n’a pas une présence majeure sont très patriarcales,
tandis que celles où le PKK a une présence ne le sont pas. Il n’y a pas de
coïncidence. C’est parce que le PKK voit la domination des femmes comme étroitement
liée à d’autres formes d’exploitation et d’oppression et croit que la lutte contre
l’oppression des femmes doit, par conséquent, être au coeur de toute lutte
progressiste – dans ce cas pour la libération des kurdes et, finalement, des classes
populaires du Moyen-Orient.

«K.B.» souligne ensuite que le PKK était à l’origine marxiste-léniniste, ou au moins
influencé par cette approche dans les années 1970 et 1980. Cela peut effectivement
être le cas, mais une question qui doit être posée c’est si c’est encore
actuellement le cas. Les zapatistes venaient également d’une approche maoïste ;
Michel Bakounine lui-même était à l’origine un nationaliste slave. Le passé n’est
pas toujours un bon guide pour le présent, spécialement quand d’autres aspects du
passé sont ignorés.

Les gens et les organisations changent politiquement et ce n’est pas ce qu’ils et
elles étaient qui est pertinent: c’est ce qu’ils et elles disent et font maintenant
qui compte. Le PKK a également changé de nombreuses manières, cela aussi fait partie
de son passé. Le PKK a critiqué son passé, essayant de changer sa politique et, dans
ces critiques ils sont parfois brutalement honnêtes à propos de leurs propres
défauts passés. Cela est très prometteur et montre une maturité politique.

Combien de mouvements – y compris les anarchistes – réfléchissent honnêtement sur ce
qui ne va pas ou n’allait pas avec eux et utilisent cela pour s’améliorer ? Ainsi,
alors que le PKK n’était pas parfait, et ne l’est toujours pas, ils et elles ont
réfléchi et changé – cela n’amène rien de montrer qu’ils et elles étaient
marxistes-léninistes il y a trente ans, comme si rien n’avait changé.

*DIFFÉRENCES DE MÉTHODES ENTRE LES DEUX LIGNES*

C’est en invoquant une revendication en faveur d’un mouvement des femmes, nouveau et
autonome, au Rojava que «K.B.» révèle une partie importante de sa méthodologie. Les
situations ne sont pas approchées telles qu’elles sont par le ou la militant-e,
elles sont approchées comme le ou la militant-e aimerait qu’elles soient, ce qui
signifie habituellement un schéma complètement abstrait de revendications et de
programmes. Ainsi, sans égard pour les résultats de l’actuel PKK, sans égard pour le
contexte, sans égard même pour ce que les femmes font dans le PKK et au Rojava, il y
a une réponse déjà prête: former un mouvement de type X. Cela ne colle pas avec les
réalités complexes, et cela rend très difficile le fait d’accrocher cette réalité,
quand toutes les réponses existent avant que tout accrochage n’ait lieu.

À un autre niveau, la méthodologie se révèle également elle-même: si quelque chose
n’est pas purement anarchiste, c’est considéré au-delà du soutien. Le problème est
que les plus grands mouvements aujourd’hui ne sont pas anarchistes, ou purement
anarchistes. Dire que les anarchistes ne peuvent jamais travailler avec d’autres
courants – nationalistes, marxistes-léninistes, progressistes etc. – signifie
simplement que les anarchistes ne s’engageront avec personne, à part d’autres
anarchistes.

Mais comme la plupart des gens ne sont pas – que nous le voulions ou non –
anarchistes, cela signifie que les anarchistes s’isoleront eux-mêmes et qu’ils et
elles le feront avec fierté. Cela ne résout pas, mais au contraire aggrave,
l’isolement des anarchistes. Cela coupe les audiences et une potentielle influence
anarchiste.

*ALIGNEMENTS DANS DES BATAILLES CONCRÈTES*

Un troisième problème est celui de prendre parti dans des batailles clés. Toutes les
batailles ne requièrent pas que les anarchistes prennent parti, mais certaines oui.

Quelles que soient les limitations des forces qui menèrent la lutte anti-apartheid,
par exemple, elles étaient progressistes comparées au régime de l’apartheid ;
c’étaient des mouvements qui se battaient contre un système oppressif monstrueux et
qui, malgré toutes leurs limites, étaient en ce sens infiniment préférables à ce
système. Dans de tels combats, les anarchistes ne peuvent sûrement pas rester
neutres, comme s’il n’y avait pas de différences du tout entre les forces
d’opposition populaires, comme les syndicats et les mouvements issus des
communautés, et le régime d’apartheid. Avoir suggéré autre chose aurait trahi un
sérieux manque de perspective.

De même, considérerons la situation du PKK et de ses structures alliées: depuis le
début, dans toutes ses incarnations, le PKK a combattu contre la sévère oppression
nationale des kurdes en Irak, Iran, Syrie et Turquie. Les kurdes des classes
populaires sont opprimé-e-s en tant que travailleurs-euses et paysan-ne-s, mais en
tant que kurdes ils et elles font face à une oppression additionnelle. Le combat
contre cette oppression est progressiste et est sûrement un combat important que
tout-e anarchiste peut soutenir.

Cela ne signifie pas la possibilité d’encaisser des chèques en blanc pour le PKK ;
cela signifie simplement que même si le PKK etc. était ethno-nationaliste, mais
combattait pour la fin de l’oppression nationale, les anarchistes devraient et
pourraient encore soutenir ce combat – de manière critique, bien sûr – simplement
parce que les kurdes sont opprimé-e-s en tant que peuple et que les anarchistes
s’opposent à toutes les formes d’oppression. Dans la mesure où le PKK est devenu
plus proche de l’anarchisme, le terrain pour un soutien critique de ce dernier est
plus étendu.

En fait, alors que nous ne pensons pas que les anarchistes doivent poser des
conditions pour leur soutien à des luttes populaires pour la libération nationale,
il faut également noter que le PKK a, en plus de son rejet du nationalisme,
également rejeté l’État – en déclarant clairement que «l’État-nation ne peut jamais
être une solution» – et voit la libération des femmes comme étant irrévocablement
liée à l’abolition de l’État.

Ces dimensions disparaissent complètement dans l’article de «K.B.»: le PKK émerge
comme aussi scélérat et sinistre que n’importe quel autre régime ; c’est presque
comme si l’«ethno-nationalisme» kurde est une invention, plutôt qu’une réponse –
aussi problématique soit-elle – à l’oppression kurde. Et pour emmener les choses
plus loin, l’auteur découvre ensuite dans le PKK seulement des défauts et rien qui
soit digne de soutien.

*SOUTIEN CRITIQUE (NON AVEUGLE)*

Rien de cela ne signifie soutenir aveuglément le PKK. Nous ne sommes pas d’accord
avec le purisme de l’article de «K.B.» mais nous n’allons pas à l’autre extrême, en
liquidant notre politique. Nous sommes d’accord que les anarchistes ne devraient pas
liquider notre politique derrière toute force non anarchiste – en devenant des
meneurs-euses de ban et des soutiens aveugles, ou en taisant nos critiques ou en
mettant la clé sous la porte de nos activités indépendantes. Toutefois, alors que
«K.B.» cherche à faire cela en isolant les anarchistes des autres forces, nous
cherchons à faire cela en s’engageant, en tant que courant indépendant, avec
d’autres forces.

Cela signifie clarifier nos propres points de vue, pousser en avant notre propre
projet et rechercher notre propre influence. Une telle influence ne peut provenir
d’un isolement puriste, elle ne peut pas venir non plus d’un soutien inconditionnel
liquidationniste. Cela entraîne un engagement critique: nous sommes avec le PKK et
la révolution du Rojava contre les forces de l’État Islamique, de la Turquie et de
l’impérialisme occidental, mais nous ne sommes pas non plus un auxiliaire du PKK.
Par conséquent, malgré nos désaccords avec la position de «K.B.», nous sommes en
fait d’accord sur le fait qu’il y a des points qu’il ou elle soulève qui valent
vraiment la peine d’être évoqués.

«K.B.» note qu’il y a des structures et des projets parallèles – et potentiellement
rivaux – au Rojava et une contestation autour de celles et ceux-ci. D’après certains
comptes-rendus – y compris un document qui forme basiquement la Constitution du
Rojava – il y a deux types de systèmes/structures en place basés sur ce qui semble
être des idées divergentes qui courent concurremment. Une structure est un type de
parlement représentatif avec quelque chose qui s’apparente à un cabinet ; l’autre
étant une sorte de confédéralisme démocratique basé sur des assemblées, des conseils
et des communes. Là apparaît également une possibilité de tension se levant entre
ces deux types de systèmes allant aussi de l’avant, si le Rojava survit.

Ainsi il y a une faction dans la politique du Rojava, y compris dans la direction du
Parti de l’Union Démocratique (PYD en kurde, le parti-frère du PKK en Syrie), qui
veut ce qui équivaut à une structure d’État – plutôt que la vision plus radicale du
PKK. En pratique ils et elles sont en train de mettre en oeuvre une démocratie
représentative basée sur un parlement, avec les droits humains de base, où un
exécutif aura beaucoup de pouvoir, mais tactiquement ils et elles ne peuvent pas
l’appeler un État car il apparaît que l’idée du confédéralisme démocratique est
largement partagé en tant qu’idéal parmi de nombreux-ses kurdes.

Mais il est encore possible que le Rojava devienne un système basé sur le
confédéralisme démocratique parce que les assemblées, les conseils et les communes
existent (et parce que clairement il y a également des gens qui veulent cela). Donc
il ne nous semble pas que nous devrions fermer nos yeux sur le fait que de telles
tensions et des résultats possiblement conflictuels existent et existeront en tant
que tels au sein de toute révolution. Qui gagnera la haute main si le Rojava survit
est cependant une question ouverte et dépend de quelles forces prennent la main au
cours du processus, si elles ne sont pas balayées par l’État Islamique ou les
peshmergas (les unités armées du Gouvernement Régional du Kurdistan irakien).

*CONCLUSION*

Le meilleur résultat dans le monde serait une révolution anarchiste globale. Mais
les puissantes forces requises n’existent pas actuellement ; et elles n’en viendront
pas à exister si les anarchistes persistent à vouloir garder leurs mains trop
propres, en échouant à s’engager dans les moments et mouvements réels du monde.

De manière plus réaliste, le meilleur résultat dans le monde réel du Rojava serait
la victoire du confédéralisme démocratique, ouvrant des espaces pour des changements
plus profonds et inspirant les rebelles ailleurs. Le second serait un État dirigé
par le PYD, et le troisième meilleur serait une victoire du Gouvernement Régional du
Kurdistan (KRG) qui est à la droite à la fois du PKK et du PYD. Le KRG est un État
avec tous ses attributs (bien que non reconnu internationalement) et qui est
corrompu et ouvertement autoritaire. À la pire extrémité du spectre il y aurait la
victoire du dictateur syrien, Assad, et le pire résultat serait la victoire de
l’État Islamique.

Il n’y a pas de réel challenger anarchiste dans cette bataille, et pas de
perspectives pour un pôle d’attraction anarchiste tant que les anarchistes ne
s’engagent pas avec des forces comme le PKK. Les anarchistes kurdes et turcs-ques se
sont impliqué-e-s et, d’une manière plus modeste, des groupes liés au réseau
Anarkismo.net l’ont fait aussi.

L’article de «K.B.» souffre du fait qu’il est écrit dans une sorte de vide. Il est
écrit comme si une sorte d’anarchisme pur est la seule chose qui peut être soutenue
ce qui – en prenant en considération le fait que toute société anarchiste est dans
le meilleur des cas une perspective très distante et qu’elle devra être forgée et
façonnée dans la réalité de la lutte et quelle peut différer de certaines manières
par rapport à la vision idéale – est une vue séparée de la réalité. Ainsi l’article
est écrit en étant basé sur ce qui existe dans la tête de l’auteur et non sur ce qui
est en train d’arriver dans la réalité – qui est ce avec quoi nous devons nous
confronter en tant qu’anarchistes et révolutionnaires sociaux si nous voulons que
nous et nos idées suscitions le moindre intérêt dans les luttes populaires
progressistes.

Dans les circonstances actuelles où l’État Islamique essaye d’envahir Kobanê, même
si le confédéralisme démocratique est vaincu au Rojava de manière interne par des
éléments du PYD et leur mise en oeuvre d’un État, cet État (d’après ce que nous
avons lu sur le PYD) sera meilleur que les autres options qui sont de réelles
possibilités, étant soit l’État Islamique, soit Assad ou le KRG.
Si elle était appliquée, par exemple, à l’Afrique du Sud et à l’apartheid, la
position sur le Rojava présenté par l’article de «K.B.» reviendrait à dire quelque
chose comme «Nous ne soutenons pas l’UDF, le FOSATU, le COSATU et définitivement pas
l’ANC parce qu’ils ne sont pas anarchistes» et cela aurait revenu à dire «Qui s’en
fout vraiment si l’État d’apartheid gagne parce qu’il n’y a pas de lutte pour
l’anarchisme».

La position présentée dans l’article est ainsi pleine de défauts et séparée de la
réalité. Bien que cela puisse paraître radical sur le papier, sa faiblesse est
qu’elle présuppose l’existence d’un sujet parfaitement libertaire et révolutionnaire
et qu’elle conditionne tout soutien aux mouvements populaires sur cette non entité
au lieu de reconnaître que la classe ouvrière actuellement existante – et ses
mouvements – est pleine de contradictions et que les anarchistes ont besoin de la
rencontrer où qu’elle soit si nos idées et pratiques doivent avoir le moindre
intérêt.

La lutte pour la libération nationale des kurdes devrait être soutenue comme une
question de principe car ils et elles sont un peuple opprimé et, même s’ils et elles
n’accomplissent pas le confédéralisme démocratique, un État dirigé par le PYD serait
encore un certain gain (comme 1994 le fut en Afrique du Sud ) parce que les autres
résultats possibles sont horribles.

Naturellement, la lutte pour la libération kurde, si elle n’est pas accompagnée par
une reconstruction massive de l’économie et de la vie sociale sur la base de
l’autogestion des travailleurs et du contrôle communautaire, mènera à une situation
de libération nationale et de genre incomplètes pour les masses kurdes si les
inégalités économiques et sociales ne sont pas résolues en même temps que celles du
pouvoir politique.
Une telle solution strictement politique (c’est-à-dire si les modèles parlementaires
triomphaient sur le confédéralisme démocratique) pourrait donner naissance à une
nouvelle élite kurde. Quelque chose qui peut être comparé à la transition
démocratique qui s’est produite en Afrique du Sud en 1994 et, bien que pas idéal,
cela constituerait une avancée massive pour la classe ouvrière kurde – juste comme
cela a été pour la classe ouvrière sud-africaine.

Nous sommes d’accord avec «K.B» sur le fait que c’est précisément dans
l’auto-activité des masses à la base et dans celle des femmes du PKK et de ses
structures alliées que résident les aspects les plus prometteurs de la lutte en
direction d’une libération complète. Toutefois, ce serait une erreur de rejeter ou
de refuser un soutien à des organisations comme le PKK sur la base qu’elles sont
imparfaites. Bien sûr qu’elles le sont. Ce n’est pas la question. La question est si
les anarchistes s’alignent aux cotés – et essayent d’influencer – les mouvements et
luttes dans l’actuel monde réel, comme une question de principe (parce que ces
luttes sont justes), comme une question de politique pratique (parce que sans
engagement, les anarchistes resteront isolé-e-s) et comme une question d’analyse
(qui s’accroche aux situations, plutôt que de les marteler pour les faire entrer
dans des schémas pré-établis).

C’est là que réside finalement la différence profonde entre les deux lignes – la
nôtre et celle de «K.B.». Nous rejetons les notions qui insistent sur le fait que
les anarchistes ne doivent jamais soutenir des luttes de libération nationale – ou
alors seulement sous certaines conditions – tandis que nous rendons également clair
le fait que nous rejetons simultanément le nationalisme. Ce qui est nécessaire, par
conséquent, pour assurer la pleine libération nationale et de classe des masses
kurdes et pour se garder de l’ascension d’une élite kurde oppressive, qui
s’opposerait à la pleine libération de la classe ouvrière kurde sous le déguisement
d’étroits intérêts nationalistes, c’est une lutte centrée sur la classe ouvrière
kurde – sur un programme de la classe ouvrière – contre l’oppression nationale, le
capitalisme, l’État et l’oppression des femmes, simultanément. Le programme de
confédéralisme démocratique du PKK, pour nous, représente des pas en avant vers un
tel programme. Cela n’est pas suffisant mais c’est un début sur lequel nous pouvons
nous engager.

En résumé, en appliquant notre approche générale, nous pouvons dire de la bataille
pour le Rojava: nous soutenons la lutte pour la libération nationale des kurdes, y
compris le droit d’exister pour le mouvement de libération nationale ; deuxièmement
nous nous opposons à la répression et aux menaces mises en oeuvre par des forces
allant de l’État Islamique, à l’Irak, la Syrie, la Turquie et leurs alliés orientaux
; notre soutien va, sur une échelle mobile, vers les anarchistes et syndicalistes
kurdes en haut, suivis par le PKK, ensuite le PYD et nous traçons une ligne face au
KRG ; en termes pratiques, nous nous offrons une solidarité (même si elle est juste
verbale) et coopérons autour d’une série de questions concrètes, la plus immédiate
étant la bataille pour arrêter l’État Islamique d’extrême droite et défendre la
révolution du Rojava ; au sein de cette révolution nous nous alignons au coté du
modèle de confédéralisme démocratique du PKK contre l’approche plus étatique des
modèles du PYD, et même lorsque nous faisons cela, avec en tout temps l’objectif de
proposer nos méthodes, buts et projets et de les faire gagner en influence: nous
sommes avec le PKK contre le KRG, mais nous sommes pour la révolution anarchiste
avant tout.

Texte trouvé sur le site anarkismo.net, mis en ligne sur ce site le 1er novembre
2014 et traduit fin novembre 2014 par un membre du Collectif Anarchiste de
Traduction et de Scannérisation de Caen (et d’ailleurs):http://ablogm.com/cats/
C’est une réponse au texte «Rojava: an anarcho-syndicalist perspective». Il
s’inscrit dans la lignée d’une première réponse à cet article faite par un camarade
anarchiste turc. Le texte «Rojava: an anarcho-syndicalist perspective» et cette
première réponse d’un camarade de Devrimci Anarsist Faaliyet ont également été
traduits en français et sont disponibles
ici:http://sous-la-cendre.info/2740/revolution-au-kurdistan-syrien-2-textes-sur-un-debat-toujours-en-cours
Toutes ces traductions sont librement diffusables et nous espérons qu’elles
alimenteront l’inévitable, nécessaire et légitime débat en cours sur le soutien, ou
non, aux luttes de libération nationale en général et sur le soutien à la révolution
au Kurdistan syrien en particulier.