« Je ne sais pas si je suis complètement remise ». Pas du genre fragile,
Sarah, 38 ans, ne revient toujours pas de son passage devant la «Commission Sociale Territoriale » (CST) de mars à Foix (Ariège) [1]. Au
RSA depuis 2011 cette mère d’un enfant de huit ans suit une formation de
psycho-praticienne, non reconnue par l’Etat, pour travailler dans
l’écoute. Un projet pas assez sérieux aux yeux du département qui la
convoque. « Ce n’est pas un tribunal » lui dit-on d’entrée. Mauvais signe.
Face à elle deux professionnels du social, deux techniciens du
département. Après sa présentation, une avalanche de questions. Le ton est
inquisiteur, hautain. Les réflexions intrusives, suspicieuses « —Si vous
changiez votre enfant de l’école, vous aurez plus de temps pour trouver du
travail ! » « —Vous avez pensé à déménager ? » etc. Jusqu’à ce que la
sanction tombe. Retrait de 100 € de son revenu de solidarité. Motif :«
démarches insuffisantes ». Sarah sort et éclate en sanglots. Retrait total
ou partiel, suspension temporaire, remboursement de« trop perçu »
rendez-vous obligatoires… Menace ou sanction réelle, la version ariégeoise
de lutte contre la précarité prend des allures de contrôle social.
Stigmatiser et culpabiliser tout détenteur du Revenu de Solidarité Active
qui ne remplit pas ou mal son contrat d’insertion ou qui n’a pas le profil
adéquat.
Le CAFCA le subit régulièrement. Depuis août 2012 le Collectif
d’Autodéfense Face aux Contrôles de l’Administration accompagne et défend
les personnes précaires devant Caf, MSA, Pôle Emploi. A coup de « blocage
» des CST. Au point que les forces de l’ordre filtraient jusqu’à peu
l’accès à ces dernières. Dernière action en date, avril 2014, l’occupation
du Conseil général pour exiger que Séverine, mère isolée dont le RSA fut
suspendu puis remis, touche ses arriérés d’alloc. Elle vient de les
recevoir. « Un résultat de la lutte », précise une militante. Ces
intermittents, ces chômeurs, ces Rsastes s’organisent contre l’isolement
et pour l’arrêt de ces pratiques qu’ils considèrent humiliantes. Sarah : «
Ils sont là uniquement pour rabaisser la personne alors qu’ils sont censés
nous accompagner ». « Un mur froid, inhumain ) » [2]. Après un recours,
elle gardera finalement la totalité de son revenu minimum.
Droit ou faveur ?
Au pays du « socialisme congelé » [3], les 6000 détenteurs du minima
social du 09, un des territoires le plus touché par cette précarité,
seraient devenus la cible n°1. Ils pèseraient trop lourds sur les finances
publiques pour le département chargé de financer le Rsa socle. « ll y a
parmi les allocataires des gens qui trichent, qui n’y ont pas droit. (…)
Il s’agit d’argent public qui demande le plus de crédit » déclarait
Augustin Bonrepaux, président du Conseil Général en 2012 [4]. Autour de 30
M€. Ce qui ne l’a pas empêché de rehausser le volet social de 8 % cette
année. Un coût mirobolant de 450 € mensuel par foyer en moyenne.
L’allocataire a « des droits et a surtout des devoirs » [5], se justifient
à l’envi A. Bonrepaux et consort. « L’administration, paternaliste et
condescendante, tente régulièrement de faire passer pour des faveurs ce à
quoi nous avons droit pour vivre. La pression, constante et sans relâche,
fait partie intégrante du dispositif » rappelle la CNT 09 qui épaule
parfois le Cafca dans ses actions [6]. Des « miettes pour calmer la grogne
sociale », rétorquent certains.« Ils ont l’impression de donner plein de
sous. C’est quoi leur salaire à eux ? » s’emporte Catherine, elle aussi
sortie en larmes de sa CST. On la menaçait de lui baisser son Rsa couple.
700€ pour quatre. C’était sans compter sur Malick son compagnon qui a
passé son coup de gueule « On n’est pas dupe, ils ont pas intérêt à mettre
une famille à la rue, mais on peut lui taper dessus ».
« Les mettre au boulot »
En comité de pilotage du département, l’objectif de la direction est assez
clair : « on va les mettre au boulot ! », raconte une source interne.
Léger problème, avec un taux de chômage à plus 12, 2 %, les offres
d’emploi n’encombrent pas les fichiers Pôle Emploi Ariège. Quitte à
réorienter les profils de ces assistés en puissance à n’importe quel prix.
Pour toucher son dû, Sarah a du écrire sur son recours qu’elle «
élargissait son champ de recherche aux boulots alimentaires ». « Je suis
allée en intérim, vu mes diplômes ils m’ont regardé avec des yeux ronds ».
La logique tourne à l’absurde kafkaïen : « Si je vais travailler, ce sera
pour payer la garde de mon enfant ». Daniel lui, travailleur social de
métier, avait postulé dans une structure pour jeunes handicapés dont le
directeur, membre de la commission, lui reprochait son manque de
démarches. Il ne lui avait jamais répondu. Souci d’honnêteté, Catherine et
Malick l’on joué franc-jeu en CST :« on ne cherche pas de boulot ». Bac+
5, elle, veut tenter sa chance dans la vannerie tandis que lui, BTS,
construit leur maison sans passer par les banques. « Peu importe ce que je
leur disais, pour eux j’étais une glandeuse. Comme s’ils décidaient de ma
vie à ma place ». Etre un « bon pauvre » qui « s’insère » dans le
chantier, les ménages, la manutention.
Ces coups de pressions retombent aussi sur les employés. En interne la CST
de Foix a la réputation d’être la « plus dure » d’Ariège. Une« punition »
pour les professionnels qui y travaillent. Cette tendance au contrôle
viendrait du recrutement de techniciens gestionnaires « très normés »
issus du monde économique. « Nous, on arrivait de l’éducation populaire ou
de science de l’éducation », se souvient Paul, un conseiller d’insertion.
Pas vraiment de politique du chiffre sur les « sorties positives » des
Rsaste mais des rendez-vous, des règles, des obligations de données, des «
outils » tels que ces« courbes d’évolution »… du chiffre d’affaires du
précaire. C’est ni blanc ni noir, tempère Paul. « Les élus sont encore sur
du social mais ne supportent pas ceux qui ne veulent pas s’en sortir ».
Gâchis humain
Du boulot, du moins de l’activité, la « terre courage » en foisonne.
Agriculture, apiculture… Max, membre du Cafca avait un contrat d’insertion
dans la cueillette. Un autre : « vente de savon à base de plante ».
Catherine s’était vue invalider son contrat de travail dans un café
culturel. Des ambitions professionnelles « ubuesques » pour un département
plutôt hostile au mode de vie alternatif. A l’image de cette imprimerie
associative qui avait le tort d’être gratuite. Une cafcaïenne raille : «
Pour eux, le sens social, c’est dégager de l’argent ». Vrai que l’Ariège,
terre historique d’accueil de néo-ruraux, c’est plus le pays des hippies
décroissants que des costumes cadres dynamiques. De ceux qui font un « pas
de côté ». Malick : « Ce n’est pas par choix mais j’estime être en
résistance au Rsa, je prends ma vie en main. Je ne fais pas rien, je prend
mon temps ».
Ludo Simbille
Source : Friture Mag
Notes de l’auteur
Notes :
[1] Tous les prénoms sont modifiés à la demande des intéressés.
[2] D’absurdité et de « torture morale » qualifiait Dominique Méda ce type
de contrôle.
[3] Lire l’enquête de Mediapart sur le système politique ariégeois et les
dossiers de La Buvette des alpages sur l’édile.
[4] M. Bonrepaux tenait-il le même discours à propos des subventions qu’il
verse aux entreprises ? Ou au « Club Ariège Pyrénées Investissement », ce
lobby créé et financé à 98% par le CG ? Sans résultat, il fut dissout pour
des raisons de corruption.
[5] Et l’élu s’y connaît en citoyenneté, lui qui fut mis en examen pour
délit de favoritisme dans deux marchés publics. (La Dépêche, 25/05/2013).
[6] Une étude du CEE sur le RSA qualifiait cette mécanique « d’absurde »
et « torture morale »
. Un conseil général socialiste supprime le RSA à des centaines de
personnes, et le revendique
. R.S.A : fausse hausse et coupures programmées
. « Absurdité », « torture morale », une enquête sur le RSA à Paris
. Ici le site du CAFCA, Collectif d’autodéfense face aux contrôles de
l’administration