La manifestation de ce samedi 26 juillet est à nouveau interdite. Les préfectures multiplient les arrêtés tandis que la situation s’embrase. Malgré le matraquage médiatique, la solidarité gagne. A quoi joue le gouvernement avec ces interdits ?
L’État français est le seul d’Europe à avoir interdit les manifestations de solidarité avec les Palestinien-ne-s, alors même que son gouvernement se dit socialiste.
L’échec des interdits
A un premier niveau, cette stratégie a été mise en échec concrètement par le nombre et la volonté des manifestant-e-s samedi 19 juillet qui sont parvenu-e-s à déborder l’important dispositif policier. L’exemple emblématique est la manifestation parisienne de plusieurs milliers de personnes du Sacré-Coeur au Châtelet samedi 19 juillet. Mercredi 23 juillet, il y avait encore plus de personnes que les fois précédentes, 30 000 peut-être : ce qui montre que les interdits ne parviennent pas à faire fléchir les manifestations de solidarité.
La violence de la répression
Malgré la présence de familles et de personnes âgées à ces manifestations, la répression a été particulièrement forte et injuste : charges, gazages, matraquages, interpellations au faciès, comparutions immédiates, prison ferme.
Il est très clair que les forces répressives adoptent des attitudes différentes dans les quartiers populaires (18e, Sarcelles) ainsi que selon des critères racistes.
Les techniques policières de manipulation, de provocation et de harcèlement conduisent à des explosions de colère, en particulier pour les jeunes de ces quartiers où la pression policière est constante.
Cette colère n’est pas l’objet d’une stratégie coordonnée, elle est dispersée, et ses cibles sont aléatoires : la police d’abord, certes, mais ensuite tout ce qui tombe sous la main, pharmacie, bureau de tabac, café, épicerie.
Diviser pour mieux régner
A côté du bâton, le gouvernement « socialiste » tend la carotte par l’accord d’une autorisation ponctuelle à la manifestation organisée par la gauche institutionnelle et encadrée par le service d’ordre de la CGT ce mercredi 23 juillet.
Le gouvernement cherche ainsi à diviser : il y a les bonnes manifestations et les mauvaises, il y a les manifestations pendant la semaine, dans les quartiers tranquilles, quand les gens travaillent, et il y a les manifestations dans les quartiers populaires, qui ont lieu le week-end (justement quand les banlieusards montent sur paris intra-muros).
Il y a les bons manifestants, la gauche institutionnelle et responsable qui n’attaque pas les flics, et les mauvais manifestants, tous ces immigrés qui ne partent même pas en vacances pendant que les Parisiens vont bronzer sur les plages du Maroc.
Les manipulations médiatiques
Et puis, à un deuxième niveau, les médias dominants jouent pleinement leur rôle de couverture idéologique des pratiques de l’Etat policier en répandant des rumeurs mensongères (la pseudo-attaque de synagogue rue de la Roquette) et en mettant en avant les actes antisémites qui sont pourtant largement condamnés au sein du mouvement.
Conformément à leur fonction de désinformation en période de mouvement social, les médias dominants s’efforcent ainsi :
de justifier la violence de l’interdiction et de la répression
de condamner d’un même mouvement la violence de la résistance (ainsi que la désobéissance populaire, dont ils se gardent bien de dire qu’elle a été massive)
Nous sommes tous des casseurs palestiniens
A écouter le gouvernement, tou-te-s les manifestant-e-s qui ont bravé l’interdit doivent être criminalisés, nous sommes tous des casseurs palestiniens. Soit.
A partir de là, côté mouvement social de solidarité, 3 enjeux :
d’abord, dénoncer et combattre les mots d’ordre antisémites
ensuite, être solidaire des manifestant-e-s qui subissent la répression
enfin et surtout, ne pas céder aux interdits, à la répression et aux manipulations : nous savons pourquoi nous sommes là, notre cause est juste, nous continuerons.
Une lecture racialisante du conflit
Côté gouvernement, cette ligne politique suicidaire donne de l’écho à une lecture racialisante du conflit et des mobilisations : elle participe de facto à un renforcement de la défiance et des tensions inter-communautaires.
Pour décrédibiliser le mouvement pro-palestinien, le discours dominant donne de l’importance à la fois aux discours antisémites, et aux discours racistes ou islamophobes contre les jeunes de banlieue.
[1]
Un problème colonial au XXIe siècle
Or, le conflit israelo-palestinien est un problème colonial.
C’est bien ce qui embarrasse tant l’Etat français qui entend poursuivre ses propres pratiques post-coloniales loin des centres, dans des zones d’ombre bien délimitées.
Et c’est ce que le discours dominant travaille à faire oublier à tout prix, quitte à renforcer les tendances racistes, antisémites et islamophobes qui traversent la société française (à ce rythme, la montée du vote FN aux élections européennes pourrait encore s’amplifier aux élections présidentielles de 2017).
Dans l’espoir de faire taire l’expression d’une solidarité avec les palestinien-ne-s qui questionne ses propres pratiques, le gouvernement « socialiste » renforce les tensions racistes et l’engrenage répressif.
Avec ces interdits, le gouvernement joue avec le feu…
Notes
[1] De fait, cet écho donné aux analyses racialisantes a une longue histoire :
L’Etat français qui prétend aujourd’hui faire la leçon n’a pas dépassé son propre passé pétainiste, les commémorations sont de la poudre aux yeux alors que les pratiques policières qui ont donné lieu aux rafles antisémites n’ont jamais été sérieusement remises en question.
L’Etat français n’a pas non plus dépassé son passé colonial, il a toujours des colonies (officielles, les « DOM-TOM », ou officieuses) ainsi que des pratiques policières racistes et post-coloniales dans les quartiers pauvres où l’immigration venant de ces « ex »-colonies est forte.