Interdiction, tu parles ! Ce sont des milliers de personnes qui ont convergé vers Barbès en soutien au peuple palestinien, donnant lieu à l’un des pires échecs de maintien de l’ordre à Paris depuis presque 10 ans. Compte-rendu parcellaire par un participant.
Gare du Nord
Hop, 14h on part dans le métro. Direction gare du Nord. On sait que la manif est interdite mais on a bien l’intention de s’en foutre. Personne ne s’imagine que les flics vont laisser couler. Dans le métro on croise une ribambelle de gens dont on sait qu’ils vont à la manif. Beaucoup de familles qui viennent parfois de banlieue.
J’arrive gare du Nord et rejoins des camarades. On est plusieurs centaines en tout sur le parvis. Je dirai 500… On est tout de suite encerclés par les CRS. Les flics ne laissent pas d’autre issue que la gare elle-même. On apprend qu’il y a du monde à Barbès. On décide d’y aller avec les potos en traversant la gare. A cette occasion, on peut voir l’étendue du dispositif policier qui bloque pas mal de rue. Le quartier est quadrillé et, de visu, ne laisse pas trop d’opportunités pour manifester.
Paris Besbar, tu connais l’boulevard !
Arrivés à Barbes via une petite rue (le boulevard Magenta est impraticable du fait des monceaux de flics et garde mobiles entassés…) c’est autre chose. Y a des milliers de personnes. Je dirais 5 000 à vu de nez. Et ça grossit beaucoup. Conformément à ce qu’on se disait, c’est très tranquille. La plupart des gens sont venus en famille, y a beaucoup de chants. « Etat d’Israël, état criminel » « Nous sommes tous des Palestiniens », « Gaza, Gaza, on est tous avec toi ». Franchement, ça donne la patate. Les flics se sont positionnés sur le boulevard Magenta et obligent la manif à partir vers le nord, sur le boulevard Barbes. Mais y a de plus en plus de monde sur place. Du coup, ils ne peuvent pas vraiment interdire le rassemblement.
Petite douche froide quand même, au moment où un connard insulte la manif du haut de sa fenêtre, une vieille crie un « sale juif » qui fait bien mal. Du coup des gens viennent lui dire qu’il faut pas dire ça d’un point de vue un peu moraliste et sans s’attaquer frontalement à ce genre de discours. Plus loin, une meuf se fait embrouiller parce qu’elle s’est ramené à la manif avec un ananas, l’un des symbole ralliant les fans de Dieudonné. Ce sera pour ce que j’en ai vu les seuls « dérapages » (même si ça n’en est pas réellement un) antisémites de la manif. Je ne prétends pas non plus qu’il n y a rien eu d’autres.
Dans le cortège, ça grossit de plus en plus. On doit être une dizaine de milliers. L’interdiction fait donc un gros flop. Et toc Manuel Valls ! Bouffe ça dans ta gueule. Les organisations de gauche sont peu présentes. On voit le NPA qui tient la tête et aussi le CAPAB qui est là. Sinon c’est un peu le désert. Il y a 3 drapeaux de Droits devant (le collectif de sans papiers). Bref c’est surtout familial. Ne nions pas non plus que la présence de personnes influencées par l’islamisme (de je ne sais quelle branche) est tout de même assez visible, il y a pas mal de drapeaux islamiste Pourtant personne ne « tient » la manif. C’est plutôt un joyeux bordel. Joyeux bordel mais aussi très pacifique. Aucun énervement, pas de violence, pas de casse. Quelques pétards au pire du pire…
Les flics attaquent la manif
Ça monte très vite arrivés à Château Rouge. Sur le boulevard même, la tête de la manif qui semblait vraiment tranquille est attaquée par les CRS et massivement gazée. Je n’ai pas vu l’origine de l’affrontement, mais ce qui est clair, c’est que les flics en ont profité pour essayer de casser la manif en plusieurs morceaux. C’est ce qu’il se passe. Les flics envoient un nombre de lacrymos énorme. Du coup la tête de la manif répond par des jets de pierre. Quand les journaleux racontent qu’il y a eu des affrontements « à la fin du cortège », je me marre. Après 10 minutes, on sentait déjà le gaz.
Les gens se carapatent dans les rues perpendiculaires. Je me retrouve avec pas mal de gens rue Custine. On voit un groupe d’environ 200 personnes qui se retrouvent un peu piégées. Il y a pas grand chose à faire. On a l’impression que les flics sont plus là. On ne voit pas le boulevard mais visiblement ça continue à gazer. On se retrouve à descendre la rue de Clignancourt afin de tenter de retrouver le cortège. C’est bloqué et les flics n’hésitent pas à gazer encore une fois très très fort à l’angle de la rue Myrha et de la rue de Clignancourt. Certains montent donc vers le Sacré-Coeur. Je choisi de descendre pour retrouver le cortège en passant derrière les flics. On est très nombreux dans la rue à être un peu désorientés, à ne savoir que faire. C’est là qu’on se dit que ça doit être la même chose dans tout le quartier et que c’est en train de prendre une ampleur de dingue. Beaucoup de personnes sont révoltés de ne pas avoir pu manifester. Quand on discute avec les gens, c’est bien l’interdiction qui les pousse à l’affrontement. Il y a beaucoup de discours du type, « Elle est belle la France ! » ou bien encore « C’est ça la démocratie ? », « Ils nous traitent comme du bétail ».
Retour sur le boulevard
Et sur le boulevard c’est le gros bordel. Les flics sont en lignes à l’angle de la rue Myrha et du boulevard se font pas mal caillasser mais renvoient surtout un paquet de lacrymos. Au début elles font pas mal, elles sont pas très chargé en CS. Mais à partir d’un moment ça devient insupportable. Je me fais prendre en charge alors que je suis au plus mal par un groupe de mecs visiblement musulmans très pratiquants. « Viens mon frère, on va t’aider ». Et ils me balancent du lait plein la gueule. Ca fait du bien mais cette tentative de prosélytisme a du mal à marcher sur moi. J’me sens encore bien athée comme il faut.
Dans le même registre, il y a de plus en plus de « Allah akbar » qui fusent. Je vois ça plus comme un cri guerrier de ralliement qu’autre chose. Il n’empêche. Ça fait chier. Quel est le rapport entre la solidarité avec le peuple palestinien et la religion sérieux ? Bon y a quand même pas plus de slogans valables, comme « Israel assassin » qui fusent et globalement y a pas d’embrouilles. Certains sont cuits à force de relancer des lacrymos et vont se réfugier dans les halls d’immeubles et dans les commerces. Un drapeau israélien est brûlé et les flics nous repoussent progressivement vers le métro Barbès. Disons qu’entre 16 et 17h, des centaines de personnes se sont affrontés avec les flics sur le boulevard avant de se replier. C’est à ce moment-là que je vois un homme en sang soutenu par deux de ses potes chercher les pompiers.
Le métro défoncé
La manif prend alors une autre tournure. Ca devient beaucoup plus jeune et beaucoup plus « cité ». Ensuite une rumeur folle circule : la LDJ serait dans le métro. Ruée générale vers le métro Barbes. Vu que les gens ne peuvent pas rentrer, ils défoncent les grilles et le métro est ouvert à tous. Mais comme c’était prévisible, il ne s’agissait pas de la LDJ mais bien de flics (bacqueux ou anti-émeute je ne sais pas). De l’extérieur on entend le bruit significatif des coups de taser. Les flics sont visiblement coincés dans le métro. Ils se font défoncer à coup de pierres, de poubelles jetées du haut de l’escalator. C’est vraiment véner. Les flics se rapprochent dangereusement notamment sur le boulevard Rochechouart venant du coté d’Anvers. On est repoussés le long du boulevard Rochechouart direction la Chapelle. Les flics chargent notamment rue Caplat, pour fractionner encore ce qu’il reste du cortège. Le tout abondamment arrosé de gaz bien sur. Certains dont moi sont obligés de fuir via le métro laissé ouvert. C’est dur de respirer mais il reste une grosse solidarité chez les manifestants.
Fin de manif sous le métro aérien
La situation devient chaotique quand les jeunes commencent à cramer d’énormes tas de palettes et de cageots laissés par les commerçants après le marché. Le feu est énorme mais aussi super dangereux. Ils sont allumés en dépit du bon sens, tout près de camions ou de bagnoles. Un arbre commence à prendre feu. Je m’éloigne du coup. Certaines personnes vont éteindre le feu et demandent aux autres d’arrêter d’allumer tout et n’importe quoi. Les flics sont tout près, l’adrénaline est au max et évidement ça devient n’importe quoi. Un journaliste avec une carte de presse se fait tabasser par 50 personnes qui le prennent pour un flic. De loin le moment le plus sale de la manif. Je décide de me barrer et de passer par la Goutte d’or pour m’exfiltrer. La plupart des gens font de même. Il faut dire que les flics (CRS/Mobiles/brigades d’interventions) sont positionnés aux deux extrémités du boulevard. Je fais le tour et me mets tout près du métro la Chapelle, derrière les lignes de flics ou je peux voir l’arrivée en force de la BAC casquée et prête à intervenir. On est une centaine à stagner derrière la ligne mais les flics tentent une arrestation chez nous et nous gazent.
Je suis mort, je m’en vais
La stratégie de la terre brulée du PS se transforme en désastre du maintien de l’ordre.
En filant j’apprends par téléphone qu’une autre partie du cortège se balade en manif sauvage dans Paris. Et je me dis que le préfet de police doit bien se bouffer. Parce qu’en interdisant une manif, il a créé un vrai bordel. Bien sur il pourra répondre que c’était prévu, et on se dit bien qu’il a joué la provocation. Il n’empêche que, lorsque les flics racontent qu’ils ont réussi à « circonscrire les violences », c’est quand même rigolo. Ils ont rien géré du tout. Ils n’ont pas eu le choix que de voir les affrontements s’étendre dans tout le 18e arrondissement. En cherchant un coup médiatique, en manipulant les données, les superflics et le ministre de l’intérieur se sont brulés les doigt. Bien fait!
Publié le 20 juillet 2014 http://paris-luttes.info/palestine