5 juin, 2014
Après l’effervescence de la journée d’hier, passée à chercher à comprendre où ont été envoyés les divers incarcérés, essayons d’esquisser quelques réflexions à propos de cette dernière enquête, qui, un peu pour son grand nombre d’inculpé-e-s (111) et de personnes soumises à des mesures judiciaires, un peu pour la particularité des chefs d’inculpation, mérite une analyse plus approfondie.
Comment faire entrer dans une même enquête autant d’inculpé-e-s ?
La réponse est relativement simple : de ne plus seulement mettre les noms déjà connus à la préfecture de police de Turin.
Dans les 200 pages de ce qui compose le dossier d’accusation, nous retrouvons une part de la ville, celle des quartiers Porta Palazzo, Barriera di Milano et Aurora.
Nous retrouvons les noms et les visages de celles et ceux qui, ne pouvant plus se permettre de payer un loyer, ont décidé ces dernières années de s’organiser pour s’aider réciproquement. Des nombreu-x-ses, Italien-ne-s et étrangèr-e-s, qui se sont barricadé-e-s derrière les bennes à ordures pour résister, qui ont attendu avec anxiété et détermination l’arrivée de l’huissier, et qui, une fois la maison perdue, ont décidé d’occuper.
Ce qui frappe immédiatement, c’est qu’il ne s’agit pas d’un délit associatif, mais plutôt à la fusion de délits singuliers en un seul fil qui suit toute l’enquête. Le délit le plus cité est “violence sur personne dépositaire de l’autorité publique”, mais l’on trouve aussi des inculpations plus spécifiques comme la séquestration, délit déjà utilisé contre Giobbe, Andrea et Claudio. Selon la procureure, cette fois les séquestrés seraient les huissiers, qui, encerclés de participant-e-s aux piquets, se voyaient contraints à concéder un report du sfratto.
Les mesures judiciaires ne sont pas tant justifiées par la gravité des épisodes singuliers que par leur réitération, retenue cohérente avec un cadre théorique que les procureurs identifient dans les tracts distribués aux piquets et des textes publiés dans la revue Invece et dans cette brochure.
Mais venons en au fond : “l’effet de la multiplication d’actions d’opposition concertées a été, substantiellement, de priver d’autorité et de force exécutives les décisions judiciaires […], avec l’intention d’empêcher, dans un contexte d’intimidation programmée, aujourd’hui et dans le futur, l’exécution des décisions de justice.”
Ce qui est touché, donc, est la volonté de satisfaire immédiatement un besoin comme celui d’avoir un toit au-dessus de la tête sans le mendier, sans attendre de meilleures politiques de logement par la mairie.
A Porta Palazzo et Barriera, pendant plus d’un an, les sfratti qui rencontraient une résistance n’étaient pas exécutés. On a parlé d’un moratoire de fait. C’est justement cela qui est resté au travers de la gorge des propriétaires et des politiciens de tous bords, habitués à recevoir demandes et révérences. Au contraire, ces seigneurs se sont vu arracher des mains renvois sur renvois, obtenus sans aucun type de médiation.
Qu’est-ce qui distingue un moratoire comme celui-là d’une concession de l’administration publique ? La seconde sert à adoucir le bâton et à tempérer les cœurs, confirmant les hiérarchie existantes. La première en revanche cherche à s’étendre et à se généraliser afin d’éliminer ces hiérarchies, en se rencontrant de manière différente, en étant dans la rue, en s’organisant.
Ce n’est pas pour rien que Davide Gariglio, peu d’heures après les arrestations, s’est dit satisfait de l’opération de la police, pour répondre à la situation d’illégalité diffuse qui s’était créée dans les rues. Et ce n’est pas un hasard si c’est un des porte-voix du Parti Démocratique [NDT: Parti Socialiste italien] qui parle. Le parti au pouvoir en ville, le parti du “plan maison”, le parti des banques et des sfratti, le parti avec le plus de dégradations de permanences ces derniers mois.
[Traduction d’un texte publié en italien le 4 juin 2014 sur Macerie.]