Bosnie : un point sur la situation

Depuis les manifestations émeutières du 5 au 7 février à Zenica, Tuzla, Mostar, Sarajevo (voir Bosnie : à propos du soulèvement en cours depuis trois jours), de petites manifestations -beaucoup plus tranquilles- ont continué de se dérouler. Pour le moment, 43 ministres et trois Premiers ministres des cantons de Sarajevo, Una-Sana, Zenica-Doboj et Tuzla ont démissionné (pour rappel, la Fédération de Bosnie-Herzégovine compte 13 entités gouvernementales constituant 160 ministères pour gouverner un pays de 3,8 millions d’habitants).

Face au vide très relatif laissé par les bouffons cravatés, aux menaces bien réelles d’une intervention armée brandie par l’Union européenne et à l’agitation nationaliste qui accuse les uns ou les autres d’être responsables des émeutes (1), des « plenums citoyens » s’organisent péniblement. « Tout le pouvoir aux plénums » est un slogan venu de Tuzla (où le gouvernement du canton a présenté sa démission et a été remplacé par le plénum, qui est devenu l’interlocuteur des autorités et s’est auto-proclamé « seul représentant légitime du mouvement« ), qui commence à gagner Sarajevo ou Mostar. Ces assemblées générales ouvertes, où les citoyennistes de gauche tiennent pour l’instant le crachoir pour tenter le réformer la Fédération, essaient d’incarner un contre-pouvoir à l’aide de plate-forme de revendications. Dans celles de Tuzla, il est par exemple question de « maintien de l’ordre public dans la coopération des citoyens, la police et la protection civile« , de « construction d’un système productif et utile de gouvernement » et de demande d’un nouveau gouvernement « technique » et non-partisan. L’autre enjeu est la question des élections anticipées, initialement prévues en octobre, et proposées par les partis au pouvoir pour tenter d’endiguer la révolte en intégrant une partie de ces revendications démocrates. Un universitaire local ne peut ainsi que constater que « la Bosnie-Herzégovine est une usine à fabriquer de la colère. Et quand ça explose, la peur déménage. Elle passe des citoyens ordinaires à ceux qui sont responsables de cette accumulation de colère, c’est-à-dire les élites politiques du pays… »
Afin d’éviter tout dérapage vers l’anarchie et un monde sans maîtres ni esclaves, un « Appel de la gauche européenne pour soutenir la révolte citoyenne en Bosnie-Herzégovine » circule d’ailleurs depuis le 12 février dans le New York Times, le Guardian ou Il Manifesto. Il y est question de « vraie démocratie« , de « citoyens« , de « vie décente« , de pleurnicheries sur les « classes moyennes » détruites, et bien sûr de « peuple de Bosnie-Herzégovine« … Cet appel est notamment signé par tous les contre-révolutionnaires médiatiques de gôche habituels : Etienne Balibar, Noam Chomsky, Franco Berardi Bifo, Naomi Klein, Tariq Ali, David Harvey, Costas Douzinas, Slavoj Žižek et les négristes qui n’en ratent pas une (Michael Hardt, Maurizio Lazzarato, Christian Marazzi, Antonio Negri).

Le 12 février, une manifestation de plusieurs centaines de personnes s’est déroulée à Zagreb (Croatie), place Petar Preradović (la Place aux Fleurs), en solidarité avec les manifestants de Bosnie-Herzégovine. Enfin, à Sarajevo, le mythique hôtel Holiday Inn de Sarajevo (désormais propriété du groupe autrichien Alpha Baumanagement), construit pour les besoins des Jeux olympiques en 1984 et qui a été le quartier général des reporters de guerre dans les années 1990, a fermé vendredi 14 février pour la première fois dans son histoire en raison d’une grève de ses employés pour protester contre le non-paiement des salaires et des contributions sociales.

Dernière minute, Montenegro (pays frontalier de la Bosnie et de la Serbie, au sud) : aujourd’hui samedi 15 février, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés devant le siège du gouvernement monténégrin à Podgorica, la capitale. Dix jours après le mouvement qui a commencé en Bosnie, ils protestaient contre le chômage et les politiciens. Un appel avait été lancé sur les réseaux sociaux, baptisé « Révolution au Monténégro – tout le monde dans la rue« . Neuf policiers ont été blessés par des jets de pierres au cours d’affrontements qui ont éclaté quand les manifestants ont tenté de forcer les cordons de police qui gardaient le bâtiment du gouvernement…

1. Deux comptes rendus publiés par Al Jazeera ont soulevé des polémiques. Le texte de l’imam de Sarajevo Muhamed Velić, intitulé J’ai pleuré en silence, témoigne parfaitement de ce climat. On y parle encore de vandalisme, de pillages et de manque de dignité. Mais l’imam apporte une nouvelle couche à ce discours – la guerre. « En mai 1992, nous avions réussi à sauver les bâtiments de la présidence. Les tramways et les tanks brûlaient dans la rue Skenderija, mais les assaillants n’avaient pas réussi à détruire les bâtiments de la présidence, le symbole de l’État, de son histoire. Malheureusement, ce soir, la présidence est tombée en ruine », prétend-il dans son « témoignage ».
Le vice-Président de la fédération, Mirsad Kebo, avait déjà eu le temps de dire aux journalistes : « Je n’ai pas vu de combattants, je n’ai pas vu de gens sérieux… J’ai vu des gens drogués ».
A Mostar, le journal Večernji List a aussi publié un long entretien avec le dirigeant du HDZ (nationaliste croate), Dragan Čović, dénonçant « une rébellion bosniaque [musulmanne] ayant pour but la déstabilisation du gouvernement local, afin de renforcer l’autorité de Sarajevo au détriment de l’Herzégovine croate ».

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