Mardi 16 décembre, 14 maisons, appartements et locaux ont été perquisitionnés à Barcelone, Sabadell, Manresa et Madrid. 11 personnes ont été arrêtées et accusées d’appartenir à une organisation terroriste de caractère anarchiste. Le jeudi 18 décembre, les accusés sont transférés à Madrid où le juge Javier Gómez Bermúdez envoie en prison préventive à sept d’entre eux. Les quatre autres devront aller signer au palais de justice le plus proche de leur domicile, une fois par semaine.
La boîte de Pandore de l’antiterrorisme espagnol
Le matin du mardi 16 décembre nous a surpris avec une vague de perquisitions et détentions…On ne va pas mentir, le matin du 16 décembre ne nous a pas surpris.
La police autonome catalane, les Mossos d’Esquadra, la guardia civil et les agents
judiciaire de la cours nationale ont pris d’assaut 10 domiciles et quelques locaux anarchistes à Barcelone, Sabadell, Manresa et Madrid, effectuant perquisitions et arrestations, confisquant du matériel de propagande et informatique. Ils en ont également profiter pour mettre à sac, utilisant tout le corps anti-émeute des mossos d’escuadra, la Kasa de la Muntanya, un espace occupé qui vient de fêter ses 25 ans.
La presse, démontrant une fois de plus son rôle de porte parole de la police, affirme que l’objectif de ces détentions est de désarticuler « une organisation terroriste et de
caractère anarchiste violente ». Même si cela paraît facile de répéter une fois de plus la même phrase, nous le faisons: l’unique organisation criminelle à caractère violent qui cherche à terroriser les gens est l’état et ses tentacules: la presse, l’appareil judiciaire, son corps répressifs et ses hommes politiques de n’importe quel bord.
Pourquoi n’avons nous pas été surpris par la répression? Parce que nous l’attendions.
Il ne s’agit pas de jouer aux oracles, mais de savoir lire entre les lignes ou de
manière littérale les évènements. Comme cela est déjà arrivé avec la détentions d’autres camarades l’année dernière, cela fait déjà longtemps que des vagues comme celle de mardi dernier sont orchestrées contre les milieux libertaires et antiautoritaires. Même si les descentes précédentes n’étaient pas si importantes, elles laissaient présager des situations de ce type.
Opération « à l’italienne »
Depuis environ 20 ans, le milieu anarchiste de la région voisine italienne subit régulièrement, et de plus en plus ces dernières années, des macro-opérations similaires à celles de mardi dernier. La similitude n’est pas seulement dans le format des descentes simultanées et perquisitions de différentes maisons, mais aussi dans
l’utilisation de noms faciles à retenir et tintés d’humour noir. Cette opération, par exemple porte pour nom « pandora ». Selon la presse, répétant ses sources judiciaires « il
s’agit d’une boîte, malgré nos nombreuses frayeurs, impossible à ouvrir ». Avec « nombreuses frayeurs » ils font référence à différentes actions réalisées ces dernières années sur tout le territoire de l’Etat espagnol. Pour revenir aux opérations en Italie, on se souvient malheureusement de l’opération Thor, faisant référence à des accusations d’une série d’attaques au marteau contre des distributeurs automatiques et autres bureaux. L’opération Ixodidae, nom scientifique du tique, mot utilisé par les fascistes pour appeler les communistes et les anarchistes. Et d’autres comme Osadia, Cervantes, Nottetempo etc.
En plus du procédé et de l’utilisation de ces noms, un autre facteur nous rappelle beaucoup ce pays voisin: le rôle de la presse. Celle-ci nous a également aidé à voir ce qui se dessinait à l’horizon. Depuis environ trois ans ou un peu plus, la presse espagnole a commencé une campagne pour préparer le terrain de façon à ce
qu’une opération comme celle-ci soit non seulement possible mais même
prédictible. Ils ont désigné des milieux, dans certains cas des lieux précis, des personnes avec noms et prénoms, des collectifs etc. La presse a contribué à construire une image caricaturale et quelque peu étrange d’un ennemi intérieur, habituel
depuis des décennies, mais qui ces dernières années est caractérisé de façon
très spécifique: « l’anarchiste violent, » l’insurrectionaliste », « l’anti-système s’infiltre
dans les mouvements sociaux » etc.
Le fiasco Chilien
2010 fut une année glorieuse pour l’état chilien. En plus d’être élu président, l’entrepreneur et quatrième fortune du pays, le droitiste Sebastian Piñera orchestre une opération policière, médiatique et judiciaire contre le milieu antiautoritaire qui va se solder par une dizaine de réquisitions et arrestations. Connue comme l’opération Salamandre, populairement nommée « caso bombas », elle est basée sur l’enquête qui
a suivit une série d’attentats à l’explosif qui avaient eu lieu les années précédentes. Grâce à l’imaginaire policier, une macro-structure en réseau hiérarchisée et responsable de toutes ces détonations est inventée pour les besoins de l’opération. Un cirque qui a non seulement fragilisé l’image de l’Etat, le tournant en ridicule mais qui a surtout mis en évidence le côté abject des méthodes des enquêteurs : falsifications de
preuves, chantage ou pression pour obtenir des informateurs ou des « repentis », le hasard etc.
Lors du procès tout les inculpés ont finalement été absous. Mais l’Etat Chilien a gardé une soif de vengeance contre ces accusés et leur entourage. Un an après la fin de
la farce « caso bombas », les ministères, juges, policiers espagnols et chiliens travaillent ensemble sur un nouveau cas, cette fois-ci de ce côté-ci de l’Atlantique. Mónica Caballero et Francisco Solar, tout deux anciens inculpés du « caso bombas » sont arrêtés
(avec trois autres personnes qui seront ensuite « innocentés ») à Barcelone où ils
vivaient à ce moment-là. Monica et Francisco sont accusés d’avoir posé un
artéfact explosif dans la basilique de Pilar à Zaragoza, d’avoir conspiré pour
un fait similaire et de faire partie d’une supposée organisation terroriste. Ces camarades sont actuellement en prison préventive en attente d’un procès dont nous ignorons la date. Nous ignorons également dans quelle mesure cette dernière vague répressive va modifier leur procédure.
La situation est connue
plus ou moins de tout le monde et s’il y a une chose dont nous sommes sûrs
c’est que les dernières arrestations servent à donner corps à une théorie qui
ne se suffit pas à elle seule.
Quelques heures avant les arrestation de mardi dernier, le gouvernement espagnol annonçait à travers ses médias que les « ministères de l’intérieur espagnols et chiliens
ouvraient une nouvelle phase de collaboration renforcée dans la lutte contre le terrorisme anarchiste ». Lundi 15 décembre, le ministre de l’intérieur espagnol, Jorge Fernandez Diaz s’est réuni au Chili avec le vice-président et ministre de l’intérieur chilien Rodrigo Peñailillo au palais de la Moneda, siège du gouvernement, à Santiago.
« Dans la lutte contre le terrorisme, le Chili pourra compter sur l’Espagne comme sur
un allié solide », se vantait l’espagnol pendant qu’il était décoré de la grande croix de l’ordre du mérite chilien, « la plus grande distinction du pays au mérite civil » selon la presse, un trophée que l’Etat chilien offre dans ce cas en remerciement au travail policier et comme prix pour la détention des camarades Monica et Francisco, l’année dernière.
En plus d’éloges et de prix, l’agent commercial Fernandez est allé vendre ce qu’il sait
faire: conseils policiers, judiciaires, matériel répressif etc.
Quel est le pas suivant de la répression ? Nous ne le savons pas. On sait peu de
choses pour le moment sur la situation de nos camarades, sur ce dont on les
accuse exactement, à quels moyens répressifs ils seront soumis, s?ils vont
être mis en préventive ou non, etc.
Ce qui est certain c’est que cette opération n’est pas un fait isolé, elle se rajoute à
une chaîne telle un nouvel anneau. Une chaîne répressive, par moment brutale,
d’autres fois plus subtile, dans la quelle sont inclues les nouvelles lois (il suffit de penser à la récente loi Mordaza), la pression à laquelle sont soumis les sans-papiers au travers de coups de filet racistes chaque fois plus important, la brutalité policière, jusqu’à l’ambition de gérer la misère et
d’administrer la répression, c’est après tout, ce que fait l’État avec une
pseudo-gauche (et Podemos à sa tête) qui rend à chaque fois plus évident
qu’elle n’est qu’une parodie d’elle-même. Expulsions, bâtons, fascismes,
durcissements légaux et punitifs de tout type, mirages nationalistes et
socio-démocrates, c’est ce que nous procurera le présent. Il n’y a rien de
pire à espérer, le pire a toujours été là. L’éventail des possibilités de l’antiterrorisme espagnol est un fouillis dans lequel tout rentre. On le trouve ici, à la vue de tous, pour nous rappeler que pour l’État, lutter, c’est du terrorisme. Cela fonctionne comme un épouvantail. Cela va-t-il nous faire peur ?
L’État et ses agents disent avoir ouvert la boîte de Pandore. Dans la mythologie grecque, Pandore est l’équivalente de l’Ève biblique. Avec cette misogynie caractéristique des deux mythologies, Pandore ouvre sa boîte, tout comme Ève
mange sa pomme, et libère tous les maux qui s’y rencontrent.
Nous sommes capables de créer notre propre récit et nous nous mettrons leur merde
mythologique où bon nous semble. Notre histoire est différente. La boîte ouverte par
cette opération répressive nous pousse à agir, à ne pas baisser la garde, à être attentives à ce qui va suivre. Cela nous fait penser et repenser le monde que nous voulons et la distance qui nous en sépare. Cela nous amène à penser qu’il est urgent d’agir, d’aller de l’avant. Les compagnons en détention font partie de différents projets, espaces, collectifs, etc… Il est fondamental que tout cela ne s’effondre pas, que la ruine (dans tous les sens du terme) à laquelle ce type de situations ont l’habitude de mener, ne génère ni impuissance ni sentiment de paralysie. On dit toujours que la meilleure solidarité est de continuer à lutter. Bien, mais qu’est-ce que cela peut signifier dans la pratique? On dit aussi toutes en choeur que si l’on s’attaque à l’une d’entre nous, on s’attaque à nous toutes… C’est ce que révèlent les ripostes et les manifestations qui ont eu lieu à différents endroits, tout comme l’ardeur inconditionnelle des compagnons
à l’extérieur.
On peut être sûres d’une chose, c’est que les compagnons incarcéréEs peuvent sentir cette ardeur dépasser les barreaux et l’isolement, car c’est cette même ardeur qu’elles
ont su nous transmettre en différentes occasions.
Barcelone, 18 décembre 2014