Voici un texte extrait de l’émission de radio Basse Intensité du 26 décembre 2007 et une brochure intitulée « Les insurrection au Kurdistan pendant la première guerre du Golfe » rééditée en avril 2012, qui reviennent sur l’histoire récente de cette région permettent de mieux cerner les enjeux du conflit actuel …
Ces deux textes sont également consultables sur le site de Basse intensité : http://basseintensite.internetdown.org
#Émission Basse Intensité du 26/12/2007
En octobre dernier, le gouvernement turc a annoncé sa ferme intention d’intervenir militairement dans la zone montagneuse du nord de l’Irak, afin selon lui d’y déloger les guerilleros du Kongra Gele Kurdistan, le Congrès du Peuple du Kurdistan, l’ex PKK. Depuis la multiplication des attaques de guerilla contre les armées turque et iranienne, ces deux pays se lancent régulièrement dans des attaques éclaires ou des bombardements contre des bases des nationalistes kurdes, mais sans réels succès. En effet, depuis quelques années la turquie est confrontée a une recrudescence d’attaques de la part des HPG, les Forces de Défense du Peuple, la branche militaire du Kongra Gele, et des Faucons pour la Liberté du Kurdistan (FAK) qui se présentent eux comme une organisation autonome. Les premiers ciblent essentiellement les forces armées et leurs supplétifs alors que les seconds s’attaquent plus aux intérets économiques. En Iran, ce sont les Forces de la Liberté du Kurdistan (HAK), branche armée du Parti de la Vie Libre du Kurdistan (PJAK), qui revendiquent les principales actions contre l’armée iranienne et les Pasdarans, les Gardiens de la Révolution. Mais la réalité de cette confrontation militaire directe ne doit pas occulter la réalité sociale et économique des populations dans ces régions aux frontières de la Syrie, de la Turquie, de l’Iran et de l’Irak, dans ce que certains appellent le Kurdistan. Nous allons tenté en quelques lignes de dresser un état des lieux et ainsi de recontextualiser ce qu’il s’y passe.
Au lendemain de l’effondrement de l’empire ottoman, les principales puissances européennes le divisèrent en différentes zones d’influences, qu’elles s’attribuèrent. Dans la région, la France s’attribua la Syrie et le Liban, et la Grande-Bretagne, l’Irak, la Palestine et la Jordanie. Les traités internationaux de l’époque prévoyèrent la création d’un Kurdistan indépendant mais finalement cette idée fut abandonnée au profit de la Turquie naissante qui en récupéra la plus grosse partie. Les britanniques s’attribuèrent, via l’Irak, les zones pétrolifères ; l’Iran et la France le reste.
Le nationalisme kurde se construit dès le début du 20ème siècle, sous l’influence d’intellectuels de syrie. Tout comme les autres nationalismes, il s’édifie autour d’une référence mythique à une civilisation antique dont il serait la perdurance, la création artificielle d’une langue commune à un ensemble de populations ayant des parlers parfois proches, parfois suffisemment éloignés pour qu’il y ait une certaine incompréhension, l’écriture d’une histoire qui se veut commune à ces populations et la mise en avant de structures sociales censées être le ciment des différences. Ainsi les Kurdes seraient les descendants des Mèdes, parlant tous la même langue, le Kurde, se réconnaissant dans une histoire séculaire identique pour tous et dont le facteur unificateur serait une structure sociétale de type clanique. Et évidemment, de ces éléments naissent des revendications d’indépendance de territoires. Logique interne à tous les nationalismes qui se construisent au détriment des populations et de leurs diversités, et qui ne font qu’entériner les formes de coercitions politiques et d’aliénations existantes. La réalité humaine est bien différente. Cette vaste région est peuplées de populations paysannes parlant certes des langues proches comme le sorani, le kurmandji ou le dumili mais les locuteurs de ce dernier refusent d’être assimilé aux deux autres qui, elles, servent de base à une langue kurde unifiée. Situation proches pour deux communautés hétérodoxes musulmanes : les Yezidis et les Ahl el Aq qui parlent sorani ou kumandji refusent de reconnaitre ce critère linguisitique et ne veulent pas être considérés comme kurdes. Les villages assyro-chaldéens, arméniens, turkmenes ou turcs ont leurs langues propres et pour les deux premiers ne partagent pas la religion musulmane des villages les entourant. Tout commes les quelques juifs et chrétiens parlant des langues kurdes mais ne se reconnaissant pas dans un ensemble plus largement musulman. La pratique de l’islam est elle aussi diverse. Si la majorité des populations définies comme kurdes sont sunnites, une partie pratique l’islam chiite orthodoxe ou encore l’alevisme. Chacune de ces communautés a ses propres mythes fondateurs, ses structures de coercition et ses hierarchies sociales qui parfois divergent dans leurs intérêts, leurs buts et donc dans leurs choix politiques. Chacune produira une forme de nationalisme ou au moins des formes de refus d’intégration à un projet politique d’indépendance kurde, tout autant que turque, syrienne, irakienne ou iranienne.
Dès la fin de la première guerre mondiale, les nationalistes turcs mettent en place une politique visant à se débarasser des populations arméniennes vivant en anatolie, avec parfois l’aide de supplétifs kurdes. Les assyro-chaldéens subiront aussi ces massacres. En 1925 un chef religieux, Cheikh Saïd, entre en rebelion dans des zones kurdophones attribuées à la turquie naissante. Jusqu’en 1937, date de la dernière révolte dans la région de Dersim, toute cette partie de la turquie est parcourue par de nombreuses révoltes qui à chaque fois sont noyées dans le sang. Des centaines de villages sont rasés, environ 150000 personnes sont massacrées et des milliers déplacées de force. Une politique d’assimilation culturelle est alors menée par les autorités turques : les langues autres que le turc sont interdites, la toponymie est changée et la région militarisée. Se doublant avec un refus de développement économique favorisant ainsi la naissance d’une migration vers Istambul et une agitation permanente. Dans la partie iranienne, sur les cendres de l’empire ottoman, une zone kurdophone devient indépendante de fait entre 1918 et 1922 sous la direction de Simbo, un chef de guerre. La reprise en main est sanglante mais ne saura empêcher la proclamation d’une République autonome en 1946 par Qazi Mohammad . Soutenue par l’union soviétique, elle sera éphémère et comme les autres défaites militairement. Dans les zones pétrolifères irakiennes, les autorités en place, qu’elles soient britanniques ou irakiennes, ont toujours tentées de maitriser les révoltes par une présence militaire et des accords avec des chefs de clans. L’ensemble de ses territoires furent économiquement marginalisés et militairement colonisés.
Dans les années 60, le nationalisme kurde se teinte d’un discours révolutionnaire. Tout autant que de jeunes kurdes refusent le nationalisme et participent amplement à l’appartition des principales organisations de l’extreme gauche révolutionnaire en turquie et en iran. En turquie, le coup d’etat de 1971 réprime largement l’extreme-gauche et les nationalistes kurdes accusés de « séparatisme ». Des centaines de personnes seront arrêtées et emprisonnées. En Iran, le renversement du Shah en 1979 favorisera un temps le PDKI, qui se reclame de l’éphémère république de 1946, avant qu’il ne subisse la repression comme tous les anciens alliés des partisans de Khomeny. La région kurdophone d’Iran est depuis soumise à un large controle des Gardiens de la Révolution sans pour autant faire taire les révoltes sporadiques. En irak, sous la tutelle du PDK, le nationalisme kurde se tourne plus vers un discours autonomiste basée sur les structures traditionnelles. Le conflit avec l’UPK, autre parti kurde qui lui est plutot sur des bases « socialisantes », n’aura de cesse pour le controle de zones d’influences lucratrives. Néanmoins, la guerre contre le pouvoir de Bagdad continue.
En septembre 1980, les militaires turcs prennent le pouvoir par un coup d’etat. La repression est massive contre l’ensemble de l’extreme gauche et les nationalistes kurdes. Qu’elles soient clandestines ou non, armées ou légalistes, les différentes organisations seront demantelées ou affaiblies et leurs militants, ou sympathisants présumés, emprisonnés et torturés. Les disparitions seront nombreuses. Les régions kurdophones sont alors traversées par l’émergence de la guerilla du pkk, fondé en 1978 sur un discours politique mélangeant libération nationale et lutte des classes, et qui harcèle l’armée. Face à elle, les membres du pkk se réfugient en syrie et se réorganisent dans quelques camps palestiniens au Liban. Ils lancent les premières attaques en aout 1984 à partir de bases dans le nord de l’irak. Celui est en guerre depuis 1981 avec l’iran et mène une guerre sans merci aux Peshmergas kurdes de l’UPK et du PDK. L’armée irakienne n’hésitera pas en 1988 à employer des armes chimiques contre le village d’Halabja. En turquie, face à la recrudescence des attaques du pkk depui 1986 et à la multiplication de révoltes populaires, l’etat décide de créer un poste de « super gouverneur » dans les régions kurdophones et d’y instaurer des « zones d’économie spéciales ». Cette nouvelle politique va se traduire par la mise en place de villages stratégiques militarisés et la fourniture d’armes à des gardiens de villages, véritables milices. Environ 3500 villages seront rasés, d’autres vidés et des milliers de personnes forcées à migrer vers des villes européennes ou turques. Les modes de subsistance sont attaqués, les économies locales ruinées. La prise de controle par l’armée de ces vastes régions s’accompagnent de projets de barrages hydro-électriques, de controle des eaux du tigre et de l’euphrate, d’amélioration du transit pétrolier… Bien au dela des actions armées du pkk et des quelques guerillas révolutionnaires, l’armée se heurte à une forte résistance populaire. Tout d’abord passive la résistance des villageois va se faire de plus en plus pressante. Les corps des disparus sont réclamés aux militaires et les funérailles deviennent rapidement des manifestations de protestation. De part la répression qui touche plus la population masculine, des nombreuses femmes se retrouvent en première ligne de la contestation, fissurant ainsi les traditions patriarcales de ces sociétés villageoises. De 1990 à 1992, les rassemblements populaires à l’occasion du newroz, le nouvel an local le 21 mars, se transforment en manifestations hostiles lors desquelles l’armée tire dans la foule et utilise les chars. La guerilla du Pkk se réorganise et, forte de son prestige auprès de jeunes kurdes, s’agrandit et étend ses opérations jusqu’à la mer noire et la méditerrannée. Elle s’implante encore plus dans le nord de l’irak, ou l’armée irakienne est absente pour cause de guerre contre le koweit, puis contre la coallition militaire internationale. Cette partie du pays se retrouve gérée économiquement et politiquement par l’UPK et le PDK, avec lequel le PKK s’affronte d’ailleurs en 1992 et 1995 pour le controle de certaines zones. En parallèle, un activisme politique légaliste tente de s’affirmer en constituant des partis politiques et associations réclamant la reconnaissance de droits pour les populations d’Anatolie. La aussi, la repression sera au rendez-vous. Arrestations, tortures et assassinats seront le lot de nombre de militants osant affirmer ne serait-ce que l’existence d’une question kurde. Ils furent à chaque fois accusés d’être une émanation du PKK et de proner le séparatisme et le racisme. La succession d’actions armées, de pertes de l’armée turque et de révoltes populaires agiteront la région tout au long des années 90 malgré les appels aux négociations fait par la guerilla et qui sont restés sans réponse de la part de l’état turc. Au total cette guerre contre les populations et la guerilla a fait plus de 40000 morts, des milliers de villages rasés et des milliers de personnes déplacées. Des milliers de personnes sont emprisonnées pour leur appartenance supposée au pkk ou aux autres organisations ou associations considérées pro-kurdes. Parmi ces personnes, toutes ne sont pas kurdes. Certaines d’entre elles étaient des internationalistes venues d’allemagne ou de pays scandinaves combattre dans les rangs de la guerilla. Beaucoup d’entre elles étaient des femmes.
En 1999, le dirigeant du PKK, Abdullah Ocalan est expulsé de syrie après un accord avec la turquie. Il erre dans plusieurs capitales européennes avant d’être livré à la turquie. Il est condamné à mort puis enfermé sur une ile-prison. Sa peine est commué en perpétuité. Le pkk annonce officiellement une trève afin selon lui d’arriver à une solution pacifique. Une toute petite partie des combattants refusent, la plupart déposent les armes et se retranchent dans le nord de l’irak. Mais rien ne se passe. La présence militaire est toujours aussi forte et aucune des revendications des militants kurdes n’est prise en compte : ni développement économique, ni reconnaissance culturelle ou politique. Lors des quelques années de confusion suivant l’arrestation d’Ocalan, le PKK se restructure et redéfinit sa vision politique. Il devient le Kongra Gele Kurdistan. Popularisée à partir de 2005 sous le nom de Koma Komalen Kurdistan, Confédéralisme Démocratique du Kurdistan, la nouvelle doctrine réfute la création d’un état nation et met en avant des formes de démocratie directe au niveau des hameaux, villages et villes. Elle prône un libre fédéralisme dépassant les simples frontières de la Turquie pour englober les kurdes d’Iran, d’Irak et de Syrie. La situation des femmes et l’écologie sont deux points sur lesquels la nouvelle doctrine insiste particulièrement. Le patriarcat et le sexisme qui en découle dans les populations et les formes d’organisations sociales sont montrés comme ennemis d’une véritable libération de la société kurde. D’ailleurs, le nouvelle organisation politique de la guerilla ne comprend plus que des unités mixtes ou les femmes sont à tous les niveaux. Au même titre ques les hommes. Jusqu’à maintenant, environ 30% des effectifs de la guerilla était féminins, organisés de manière non mixte au sein d’unités militaires, et ayant leurs propres organisations politiques ou sociales. La lutte armée est vue ici comme échappatoire aux structures familiales et moyen d’émancipation. Les unités féminines ont toujours été les plus transnationales, regroupant des volontaires de Turquie, de syrie et d’Iran.
Outre le Kongra Gele en turquie, ce Confédéralisme Démocratique du Kurdistan regroupe le Parti de la Vie Libre du Kurdistan en Iran, le Parti de la Solution Démocratique du Kurdistan en Irak et le Parti de l’Union Démocratique en Syrie. Seuls les deux premiers pratiquent une lutte armée. L’année 2005 a vu une spectaculaire augmentation du nombre d’accrochages entre l’armée turque ou iranienne et les unités de guerilla. D’autre part les Faucons pour la Liberté du Kurdistan ont revendiqué plusieurs actions contre, en autres, l’économie touristique en Turquie. Le nord de l’Irak, et pricipalement la zone des monts Qandil, est encore plus montré du doigt par la turquie et l’iran. Ces deux pays procède régulièrement à des opérations militaires, parfois communes, en irak. La tactique est la même que lors de la lutte contre le PKK, melant opérations commandos héliportés et bombardements de villages et zones censées abriter les camps de guerilla.
Le 16 décembre, l’armée turque a lancé une nouvelle attaque contre les bases des monts Qandil. Des avions ont déversé leurs bombes contre cette zone, détruisant ponts et routes reliant plusieurs villages, forcant les habitants à fuir. Comme le 1er décembre dernier, la turquie a annoncé que cette opération était une réussite et qu’elle avait causé de serieux revers aux rebelles. Ce que ces derniers ont évidemment démenti. La turquie a d’ailleurs promis de futures opérations. La guerre continue…
La situation dans cette région a créé depuis des années de nombreux conflits et ruptures, et c’est sans doute en cela que ce qui s’y passe nous interesse. La volonté de l’etat turc s’est heurté à des formes de résistances populaires spontanées ou non à ces projets de miltarisation, de répression et de gestion de population : manifestations, désertions et insoumission, émeutes, grèves, rejet des institutions, auto-organisation, etc. Les ruptures ont, elles, touché les formes d’organisation traditionnelles. Les migrations vers les grands centre urbains, les destructuration des communautés villageoises, l’émergence des femmes comme individu politique, le refus des clans ont accentué encore plus les contestations et refus des formes de coercition et d’aliénation des cultures de ces régions. Le projet nationaliste kurde, peut intéressant en soi, se retrouve confronté a ses propres dynamiques, contradictions et limites. Le Confédéralisme Démocratique du Kurdistan est censé répondre à cette nouvelle situation.
Espèrons que le vent de la révolte vienne abattre les aspirations nationaliste, turques ou kurdes, et fasse place à une guerre sociale contre toutes les formes d’oppression.
# Brochure « Les insurrection au Kurdistan pendant la première guerre du Golfe »
«La compréhension de la situation réelle dans le Golfe nous a souvent fait défaut. Nous étions réduits à rejeter, sans vraiment les dépasser, les brouillages émis par les Etats en guerre et par leurs souteneurs officiels ou officieux. [Ces textes ont] donc le mérite de nous aider à nous orienter dans ce dédale complexe et peu familier pour nous, en (…)
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