La lutte du Val de Suse en Italie contre le TAV (Treno ad alta velocità, ou train à grande vitesse) dure depuis le milieu des années 1990 et n’a cessé de démontrer l’absurdité de ce projet démesuré. Depuis près de vingt ans les opposants (No TAV) se mobilisent contre ce projet inutile et coûteux.
Ce dimanche 28 juin une manifestation était organisée pour ouvrir le cycle de lutte de l’été. Récit d’un membre du groupe Regard Noir de la Fédération anarchiste.
Le rassemblement était donné à Exilles, un village de la vallée, pour 10h du matin. Sur la route nous croisons plusieurs barrages policiers, qui filtrent et fouillent les manifestants potentiels, en particulier les cars. Arrivés sur place vers 10h le cortège se met finalement en branle vers 11h30 en direction du chantier de Chiomonte où les travaux du TAV ont commencé. Nous sommes alors au moins 5000 à défiler ainsi à flanc de montagne. Pour quelqu’un d’habitué aux manifestations parisiennes, se retrouver dans ce cadre de montagnes alpines et de forêts est un agréable changement.
Le soleil tape dur et il nous faut bien une heure de marche, rythmée par des coups sur la barrière de sécurité routière, pour arriver à un croisement où le camion-sono s’arrête. Une bonne partie de la manifestation continue néanmoins et prend la route la plus directe vers le chantier, tandis que les personnes les plus déterminées commencent à se préparer à croiser la police. Loin de décourager les gens de s’y rendre la personne au camion-sono dénonce la militarisation de la vallée et déclare qu’il n’y aurait pas d’affrontement si ils ne s’opposaient pas à nous. Nous passons alors sous un viaduc, suivis par l’hélicoptère qui ne nous lâche plus depuis le début de la manifestation. Une demi-heure s’écoule avant que nous arrivions face aux forces de l’ordre, plantés au milieu de nulle part, positionnés dans un tournant et protégés par des blocs de béton auxquels sont fixés des grilles de métal.
Très rapidement la situation se tend, tandis que les militants No TAV qui ne sont pas prêts à l’affrontement refluent vers l’arrière, les canons à eau commencent à tirer et nous entendons le bruit caractéristique des lance-grenades et des lacrymo qui explosent, tandis que les palets de gaz retombent autour de nous. Dans le même temps, les premières lignes de camarades, protégés par des plaques de plexiglas tentent d’arracher les grilles à l’aide de grappins et de cordes, tout en répondant aux tirs de la police à l’aide de pierres et de feux d’artifice. Une bonne portion de la route est noyée sous le gaz et nous refluons rapidement hors de portée. Les camarades mieux préparés tiennent encore quelques minutes avant de se replier devant l’intensité de la violence policière et la solidité de leurs installations. Les personnes restées en arrière s’occupent des gens les plus touchés par les gaz, l’eau circule de mains en mains, de même que le citron et le maalox. Un peu remis les camarades retournent à la charge une seconde fois, mais n’auront pas plus de chance.
Nous nous replions tous en chantant un des slogans les plus caractéristiques de cette lutte et de cette situation en particulier « Si parta, si torna insieme / Chiomonte come Atene / Siamo tutti black bloc / Lo sbirro nel cantiere / Dovrà tremare / Se arrivano i no TAV / ALE ! ALE ! ALE ! » en français « On vient ensemble, on repart ensemble / à Chiomonte comme à Athènes / nous sommes tous des black bloc / le flic sur son chantier va trembler / car arrivent les no TAV« . En effet on m’avait parlé de cette lutte comme un bon exemple du respect de la diversité tactique, les gens ne cédant pas aux sirènes médiatiques les appelant à condamner les encapuchonnés comme on dit ici, tandis que les camarades choisissant l’affrontement, respectent ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se confronter à la police. La distinction entre les uns et les autres n’étant jamais aussi marquée et définitive. De même de nombreuses personnes font écran entre les camarades qui se changent en prévision des affrontements et les caméras ou les témoins gênants. Ce que j’ai pu en voir au cours de la journée m’a semblé confirmer ce que j’en ai entendu, même si tout ne doit pas être aussi rose.
Alors que nous refluons, les camarades en noirs, suggèrent de passer par un chemin détourné dans les bois pour tenter de surprendre la police à un autre endroit. N’étant pas suffisamment équipés nous ne les suivons pas, mais ils sont bien 200 à tenter le coup, cagoulés ou non. Nous remontons la route vers le carrefour jusqu’au camion-sono puis allons chercher la voiture laissée à Exilles pour rejoindre le reste des manifestants à Chiomonte, sur l’autre versant de la vallée. La journée n’est pas terminée, nous reprenons quelques forces sur la place de ce vieux village, puis vers 16h30 nous commençons à redescendre tous ensemble vers le chantier, cette fois par le bas de village. Nous rencontrons rapidement les lignes de police, protégées par le même système de grilles et de béton placé sur le pont qui enjambe la rivière de la vallée. Les slogans vont bon train face au policiers qui sont nombreux à nous toiser et la grille nous sert à marquer le rythme.
Vers 17h30, un peu fatigués par la journée et le soleil qui tape toujours nous décidons avec quelques camarades de prendre un peu de hauteur et de se mettre à l’ombre. Nous avons à peine quitté les premières lignes que le bruit des grenades retentit en cascade. Il est encore difficile de dire ce qu’il s’est exactement passé, mais d’après le site infoAut [1] il semblerait que les no TAV aient réussi à renverser les barrières, ce qui en retour à déclenché les tirs de lacrymo et une charge de la police sur le pont. Ce que j’ai vu de mon coté alors que je remontais pour éviter le nuage de gaz, c’est des camarades cachés sous les frondaisons pour éviter les caméras de l’hélico et se préparant dans l’urgence à répondre aux tirs, tandis que les gens qui remontaient les applaudissaient avec enthousiasme. De même par la suite, les tirs de feux d’artifice de nos camarades étaient ponctués sur les hauteurs par des applaudissements et des encouragements. Qu’on vienne me parler ensuite des black blocs qui sèment le désordre dans les manifestations… Cette image m’a fait chaud au cœur.
Ayant pris un peu de hauteur, les bruits de détonations se sont succédé, grenades contre feu d’artifice, jusqu’à ce que l’intensité du nuage de gaz que le vent poussait vers nous, nous force à remonter jusqu’au village. Il semblerait que des camarades aient profité de la confusion pour réussir à percer la zone rouge et à pénétrer sur le chantier. Éreintés, nous avons quitté le village en voiture vers 18h. En cours de soirée nous apprenons qu’à la fin de la mobilisation, peu après notre départ, les flics ont tenté de se venger bassement en arrêtant les militants du camion-sono, mais ils ont finalement été relâchés. Le nombre de blessés reste encore peu clair, mais il semblerait qu’aucune arrestation ne soit à déplorer.
Nous aurions beaucoup à apprendre de ce mouvement où militants révolutionnaires côtoient habitants de la région et militants associatifs, où militants non-violents ne s’en prennent pas aux « violents », et ou les militants voulant s’affronter avec la police ne se comportent pas comme un corps étranger au mouvement dans son ensemble. Ces distinctions médiatiques et policières n’ayant ici plus lieu d’être.
Pour en savoir plus : https://notavparis.wordpress.com/pourquoi-sopposer-a-la-ligne-grande-vitesse-lyon-turin
Un membre du Groupe Regard Noir de la Fédération anarchiste
Repris de Paris-Luttes.info.