Dans l’État de Basse Californie, des milliers de journaliers migrants mexicains en lutte contre leurs conditions d’exploitation
La plupart des informations et analyses libertaires ou « radicales » qui nous parviennent concernant le Mexique ne se départent pas d’éternelles illusions gauchistes sur ses mouvements (en premier lieu le zapatisme), exaltant leurs aspects les plus ambigus (communautarisme, revendications identitaires, etc.) ou les masquant (logique militariste et aspects verticaux, discours réformiste et politicien, attitude vis – à -vis d’autres luttes) selon les besoins. Cette absence de logique critique et d’analyses nuancées trace des contours réducteurs (souvent identitaristes et communautaires) autour des nombreux combats menés par les exploitée-s du Mexique,et ne permet pas de comprendre les liens qui existent entre ceux-ci, dans leur diversité(luttes urbaines,luttes contre le narcotrafic, la spoliation des terres et les projets de développement, contre la répression, le contrôle quotidien,et diverses formes d’autorité et d’exploitation) et donc de dresser un panorama de l’état actuel de la lutte de classes au Mexique. Ce bref article tente, à partir d’un peu d’expérience au Mexique, de quelques recherches et d’échanges, d’y remédier. C’est aussi un appel à discuter et débattre.
Le mouvement de San Quintín Le 17 mars dernier, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs journaliers se soulevaient dans la commune de San Quintín (État de Basse Californie). La grève dure depuis plusieurs jours. Convoquée par une alliance d’organisations de journaliers et/ou indiennes, elle a vu s’affronter des centaines de travailleurs agricoles aux forces de l’ordre (divers corps policiers et militaires), et plusieurs actions offensives. Le secrétaire général du gouvernement local voyait dans les événements des premiers jours, « une situation d’anarchie quasitotale »,avec la principale route (la «Transpeninsular») bloquée sur 120 km et la vallée de San Quintín pratiquement sous le contrôle des grévistes. Les affrontements et le blocage de la route se sont produits après le refus des autorités de négocier des revendications portant sur l’amélioration des conditions de travail et de vie sur place (hausse des salaires, diminution des heures de travail, signature de contrats et accès à la sécurité sociale, fin des violences contre les travailleurs et des abus sexuels contre les travailleuses par les contremaîtres, et la liste ne s’arrête pas là). La libération de 200 indiens Rarámuris (Tarahumaras)réduits à des conditions d ’esclavage sur une exploitation proche a également contribué à mobiliser.La municipalité de San Quintín«héberge»dans des conditions de misère extrême entre 60.000 et 80.000 journaliers. Elle fait partie d’une zone, à cheval sur plusieurs états du nord du pays (Sonora, Sinaloa et Basse Californie), où sont exploités des centaines de milliers de migrants venus du sud, et particulièrement de Oaxaca. Les produits des gigantesques exploitations agricoles dans lesquelles ils triment sont essentiellement destinés à l’exportation. Leur vente constitue une partie importante de la richesse de ces États, et les terres appartiennent aux familles qui les dirigent. Alors que certains représentants des grévistes menacent d’étendre le mouvement dans les zones proches (et peut-être chez les migrants des zones agricoles américaines) à défaut de négociations avec les institutions, des milliers de journaliers restent mobilisés après les manifestations de force des derniers jours.
Sur le Mexique
La situation sociale actuelle au Mexique est marquée par la disparition des milliers de journaliers migrants mexicains en lutte contre leurs conditions d’exploitation des 43 étudiants de l’École Normale d ‘Ayotzinapa (État de Guerrero), fruit d’une collusion entre la police de l’État et le narcotrafic. Le mouvement de Guerrero est puissant (avec des origines dans la lutte armée des années 70, d’inspiration maoïste),et mène desactions quasi-quotidiennes pour s’emparer des municipalités, et parfois établir des formes de gestion communautaires ( ce qui marque une nette différence avec la logique historique de conquête du pouvoir). L’importante capacité d’organisation et d’action des mouvements (en particulier paysan et indien) s’incarne dans une grande diversité d’organisations populaires, très portées sur la gestion communautaire, dans l’esprit du zapatisme historique et aujourd’hui influencées par sa version néo. Elles sont aussi plus traversées que l’on ne l’admet généralement par les tendances gauchistes, et ont une longue histoire de récupérations politiques et de dérives autoritaires, via les autorités traditionnelles des communautés en général. Les mouvements paysans et indiens sont les principaux acteurs des luttes des milliers de journaliers migrants mexicains en lutte contre leurs conditions d’exploitation contre le narco-traffic, avec la mise en place des «Polices Communautaires» dans les communautés indiennes (en particulier dans l’État de Guerrero), que le Pouvoir fait tout pour infiltrer ou récupérer, et des milices d’autodéfense (dans l’État de Michocán surtout), en dehors des communautés, au rôle beaucoup plus trouble. Cela représente donc des centaines de milliers d’hommes et de femmes en armes dans le pays, avec une composante attachée à l’autonomie vis-à-vis des pouvoirs institutionnels. Il n’ y a pas en général de références claires à une volonté de changement radical et de révolution à l’échelle du pays, en dehors des quelques organisations armées qui subsistent ou des secteurs gauchistes autoritaires (certains importants en termes d’effectifs):staliniens, trotskystes et léninistes. Le mouvement syndical, depuis le long règne hégémonique du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) de 1929 à 1989, est encadré par des syndicats majoritaires verticaux, par secteurs d’activité, à la gestion mafieuse connue de tous. Les grèves sont donc limitées. Depuis la fermeture en 2009 de l’entreprise publique Luz y Fuerza del Centro (distribution d’électricité, et dont le syndicat comprenait des tendances combatives), et un mouvement chez les sidérurgistes d’Arcelor Mittal du Port de Lázaro Cárdenas (important pôle économique du narco-État de Michoacán) en 2009 , seule subsiste la CNTE, Coordination des enseignants créée par les tendances combatives du Syndicat des Enseignants (SNTE) pour échapper à son contrôle bureaucratique. Cette Coordination est engagée dans la plupart des États du Centre et du Sud dans des combats assez durs.
Elle englobe tout le spectre des tendances gauchistes autoritaires, des minorités qui le sont moins, et une base combative (l’article ne porte volontairement pas sur les tendances et milieux antiautoritaires du Mexique, qui pourront peut-être, plus tard,l’objet d’autres articles).
Sous-comédien insurgé Marco
24 mars 2015