Le texte qui suit a été initialement prévu pour une rencontre publique – qui s’est tenue à Bologne, début septembre 2014 – avec Daniele Pepino, auteur de l’article « Kurdistan, dans l’œil du cyclone » (dans Nutanak, n° 35, été 2014). N’ayant pu participer à cette rencontre, nous avons, ultérieurement, remanié le texte initial ; ce qui en résulte peut être lu soit comme une série de notes en marge de l’article de Pepino, soit comme un texte indépendant.
« Kurdistan, dans l’œil du cyclone » a le mérite de présenter d’une façon claire le cadre des forces politiques qui interviennent dans la région kurde ; mais l’article appelle une série de questions qu’il faut souligner. Au-delà de la simple mise en valeur de l’intervention des milices du PKK dans leur soutien aux kurdes yezidi menacés par l’EI dans le nord de l’Irak, l’auteur procède à une véritable apologie de cette organisation et de son prétendu tournant d’ « ouverture » (le confédéralisme démocratique). De plus, l’absence d’une description des forces sociales et des organisations qui en sont les expressions politiques, tend à faire apparaître leurs interventions comme comme de simples choix subjectifs opérés par des individus socialement indéterminés. Enfin, entre autres questions, celles du financement du PKK ou des alliances qui caractérisent le Moyen-Orient sont trop rapidement évoquées.
Il est vrai que pour aborder ces questions de manière plus complète il faudrait écrireplusieurs livres. Bien entendu, les notes qui suivent ne manqueront pas de rester lacunaires. Mais nous pensons qu’elles peuvent éclairer sous un axe différent aussi bien les récentes évolutions de la « question kurde » que les conflits qui enflamment, encore une fois, le Moyen-Orient. Sans oublier que si cela peut avoir une utilité quelconque pour nous ou pour d’autres, leur intérêt réside dans le fait de saisir, non la question de l’ « autonomie » (quoi qu’elle puisse signifier), mais celle du communisme.
Question kurde : une digression historique
L’émergence d’une « question kurde » spécifique, à la fin de la Première Guerre mondiale, est à inscrire dans le processus chaotique de la formation des États-nations dans le Proche et Moyen-Orient. Partout, la formation d’un État-nation moderne implique la nécessité de faire coïncider les frontières administratives de l’État avec celles d’une unique communauté nationale ; les États plurinationaux représentent généralement des situations problématiques ou exceptionnelles : l’État-nation, c’est-à-dire l’État du Capital, est mono-national, parce que le rapport entre les individus et l’État mis en avant ne peut tolérer une fidélité à une autre communauté que celle que prétend représenter l’État-nation. État et nation doivent alors coïncider. Un tel processus n’a rien de « naturel », c’est un processus d’homogénéisation qui peut relever du bricolage et prendre des formes d’assimilation soft, comme il peut utiliser la purification ethnique la plus brutale. S’il est vrai que pour l’Europe le puzzle de populations fut plus moins un obstacle que pour les Balkans ou le Moyen-Orient, la raison n’en réside pas tant dans l’importante ou faible complexité ou dans le caractère inextricable du puzzle en soi, mais dans le fait que si en Europe la formation des États-nations s’est faite sur l’impulsion du développement d’un capitalisme endogène, rendu possible par la succession bien définie des modes de production antérieurs, dans les Balkans et le Moyen-Orient cette formation s’est faite selon un développement capitaliste venant d’ailleurs, avec les rivalités intercapitalistes qui en ont découlé. À la suite du démembrement de l’Empire Ottoman, dont les puissances victorieuses (Grande-Bretagne et France) se partagent les dépouilles, il y a la création de l’Irak et de la Syrie que Britanniques et Français mettent sous mandat, et d’autre part celle de la Turquie avec l’ascension du mouvement nationaliste de Mustapha Kemal (Atatürk). Lire la suite sur http://dndf.org/?p=13854#more-13854